SAN FRANCISCO HiSTORY CENTER

FR-ENcM San Francisco Public Library

STACKS

REFERENCE BOOK

Not to be taken frorn the Library

3 IZ23 1o|?| ^^2S

Digitized by the Internet Archive

in 2010 with funding from

San Francisco Public Library

http://www.archive.org/details/lespyrnesetlOOmars

Xrc'its di (jraducthn et de d^eprC'dnctwn résen'és.

Ccfiyrifiiited. 169$.

Press of h. Carle,

715 broadway st.

i^^^nè.^ :t.<v'.j«i#V^i.</^ %é'(fKiKtRKm

L_..

Jl/fi/z/sr'^"- ll3^nl-^£5., £^/T£i7l£. 6.fù£/=û£r^^.fAf^/^A^^:.

onsu'ur Jouis \/f:\ arfhoii,

DÉPUTE DES BASSES-PrRÉNÉES

^h^ ï'^^"^'07/s, dans ndre entfionsiasmc, dédier cd oiivraqe à un J-rançais ilïnstre ; votre nom est venu sur tontes nos lèvres a fa fois.

^>Jotre portrait et l\nito(jrapfie cjne vous ave,i fnen voulu nons faire pan'enir, DilTonsieur le Xépnté, sont des gages précieux d'estime et de sijmpatlue pour ceux ijui signent cette dédicace.

^Join de notre Cielïe patrie, nous vous avons vu à l'œuvre; nous vous avons compris, puis nous vous avons pro- jondément admiré. 'Uons savez qu If ij a dans le peuple français une intuition remarquable et une volonté souvent sévère, qui lui font comprendre et aimer tous ceux qui travaillent dans r intérêt de s. m émancipation et de son droit. C 'est pourquoi 'honneur d'inscrire votre nom en tête de ce livre est pour nous, lotre popularité est aussi grande ici que dans notre cHer paifs. Clfe augmentera encore, si cela est possiSfe : Succès encourage, talent et patriotisme olH'igent !

Me Comité de Ctufdication.

.■:.2îMiïi?jrÉ^mv:ii^:Àudù

' 1 i * '' / / 'y

^'^^^^^^■^'^'t^'^'^^^'^^'^^^é^'é^'^^^ %

^

%

oiniic de \l uhlicaiion

l'residcnl d'Hciniiciir :

DJf. le Xr. Mollis 2)ajn'{.

1 résulent

DM- Orlnndo 3o,^/o.

Vice Irt-sulent :

DdT- ^fcan "^aijfe.

Secrclaire :

DM- !T- ^'flcxandrc ^cnjcrof.

DÙIDÙl 9. T). Xcrfjes,

^fcan ^^. J^cnjcrof, Çjcnnain ^oiicfian,

(fuies v^. (.(odcaii.

*

^•

M. JAMES H. BUDD,

gouverneur de CStat de Californie.

M. JAMES H. BU DD

gouverneur de [a Californie

Lll

OA

(ï^'Jltfr^ E Gouverneur actuel de la Californie, M. James H.

HlIbOJ ^"^^' ^^"'^ "^'^^ donnons ici la physionomie si

» o^^"^^ caractéristique, est à Janesville (Wisconsin,) en

*y(^ 1851. Il succéda à M. Markham en 1895, et sera

remplacé dans quelques jours par M. Henry T. Gage, que les

électeurs Réptiblicains viennent d'appeler à la première fonction

publique de l'État.

M. Budd fit de solides études à l'Université de Californie et fut compris dans la première promotion ; il a toujours conservé pour cette magnifique institution une juste reconnaissance et un intérêt qui ne s'est jamais démenti.

Membre très distingué du Barreau, il en est reconiui comme un des chefs les plus autorisés, et sa réputation s'étend bien au-delà de l'État de Californie.

Son talent de dialecticien, sa franchise très accentuée et sa parole persuasive l'ont rendu, ajuste titre, très populaire dans le parti Démocratique, auquel il appartient, et le font haute- ment respecter même de .ses adversaires politiques.

Durant la guerre hispano-américaine, M. Budd fit preuve de qualités exceptionnelles d'organisateur, et c'est à lui que l'on doit la formation du premier régiment de volontaires qui ait jamais été envoyé en campagne à l'étranger par les iCtats-Unis.

DÙZ. (famés ^. 9>lieLan Maire de San Francisco.

J^J'

6'(j;_».aK:r^iJ2) sstm is>

M. JAMES D. PHELAN

M. James I). Phelan est le chef honoré et respecté du gouvernement municipal de San Francisco. M. Phelan est en cette ville en avril 1861, fit ses études au collège de Saint- Ignace, et en sortit avec le diplôme de Bachelier-ès-Lettres. Il fit son Droit à l'Université de Californie, puis se mit à voyager pour compléter son éducation. Il étudia également sous la direction d'un des maîtres en logique les plus renommés.

Pendant son voyagea l'étranger, il correspondit activement avec les revues, et, entr'autres correspondances, il fit une des- cription très caractéristique de Paris, dont il est, comme tous les Américains instruits et de bonne compagnie, très enthousiaste.

Il a servi en qualité de Lieutenant-Colonel dans l'Êtat- Major du Gouverneur de Californie et comme Major de la Première Brigade de la Milice Califoi ;nenne.

Il a été, en outre, \'ice- Président du Comité de l'État de Californie à l'I^xposition de Chicago eu 1892.

M. Phelan, , en véritable érud^l:, ] rend un intérêt parti- culier à tout ce qui concerne les art :i ^ s sciences. Il a été le distingué Président du « Bohemian Club» et de l'Association Artistique de San F'rancisco. L'Université de Californie le compte au nombre de ses régents, et ce n'est que justice.

En 1897, le jour de notre fête nationale, il prononça un discours proclamant, une fois de plus, la grandeur de la dette de reconnaissance des Ivtats-Unis envers la P>ance.

Sa mère, d'origine Irlandaise, porte, en qualité de doyenne de la famille, la croix de vSaint-Louis, qui fut décernée au Col. Mulhall, en 1693, jiour services exceptionnels rendus au roi de France.

Il iious est particulièrement agréable d'ajouter que, malgré l'opposition acharnée de quelques politiciens, M. Phelan vient d'être réélu maire, avec une imposante majorité, ce qui est considéré par chicnn comme la récompense méritée des services importants nr.idus par lui à sa ville natale et à ses concitoyens.

LETTRE A NOS LECTEURS

Chers Compatriotes, Chers Amis,

L est de mode, dans une soirée intime, d'implorer l'c^^ l'indulgence de son auditoire quand, pour réciter, *(ç_> chanter ou jouer, on ne se reconnaît pas le talent de le satisfaire complètement.

C'est cette même raison qui nous a déterminé à publier cette lettre en tête de ce travail à peu près fini.

J'insiste sur le mot « travail », car il doit représenter, dans le cas, deux ouvriers. Notre éditeur et ami, et moi, revendiquons ce titre : « ouvriers » ; l'un est l'ouvrier manuel, l'autre est l'ouvrier de l'esprit, avec cette différence, tout à l'avantage premier, qu'il prêta à l'autre son intelligent concours en maintes circonstances.

J'ai dit « à peu près fini », car cette monographie n'est pas aussi complète que nous désirions la faire, surtout en ce qui a rapport aux anciens Californiens, aux mines et aux so- ciétés françaises de San Francisco.

La multiplicité des faits récents, que nous avons consi- gner, a nui à l'abondance des documents anciens. Ajoutez à cela le temps, le manque d'argent, l'installation modeste de notre imprimerie, et une foule d'autres détails qui ont con- couru à nous créer bien des difficultés, retardant ainsi d'autant la publication de notre ouvrage.

La principale difficulté, à l'étranger, n'est pas d'écrire un livre : c'est de le faire paraître. Nous nous en rapportons à ceux qui ont tâté la postérité par une publication en ce pays.

LKTTRE A NOS LECTEl'RS I5

Pauvres tous deux, nous nous sommes mis au travail avec ardeur, pleins d'espoir et de bonne volonté, sous les auspices du généreux et intelligent instigateur de cette œuvre, M. le D"^ Louis Bazet, et sous la sage direction de M. l'Avocat P. Alexandre Bergerot, ainsi que des membres de notre Comité de Publication, auxquels nous adressons ici l'expression de notre profonde gratitude.

Depuis lors, encore sous leur protection, nous avons reçu de nombreux encouragements effectifs de la part de bon nombre de nos compatriotes dans cette colonie. Ils ont grandement participé à notre œuvre en s 'empressant d'y souscrire dans la mesure de leurs moyens ; nous les en remercions du fond du cœur.

Dans ce pays exclusivement pratique, rien ne peut être livré au hasard ; une entreprise, quelle qu'elle soit, a besoin d'être patronée pour réussir ; c'est à cette cause que nous devons notre succès, qui est certain d'avance, puisque notre première édition est épuisée avant même d'avoir paru.

Nous pouvons affirmer dès maintenant que la deuxième suivra de près la première ; le texte et les gravures, qui ont été quelque peu négligés, ainsi que l' historique de nos sociétés, seront l'objet de nos sonis particuliers. L'errata, est-il besoin de le dire, nécessaire à celle-ci, sera inutile à l'autre. Nous deman- dons l'indulgence de nos lecteurs qui seront surpris à juste titre de trouver nombre de fautes et de « coquilles » dans un ouvrage aussi exigu.

Notre plus grand maître, Victor Hugo, écrivait un jour à un poète ouvrier : « Soyez fier de votre titre d'ouvrier ; nous sommes tous des ouvriers, y compris Dieu. » Mais Dieu seul ne fait pas de fautes ! Qu'importent les fautes, si elles ne vien- nent pas du cœur !

Le cœur, ce trésor immense, doit conduire la plume de l'écrivain comme la main de l'artisan. Il doit être le conseiller le plus écouté de l'historien, le directeur le plus autorisé de l'âme du penseur.

Or, le cœur, soit dit sans fatuité, est l'auteur principal de cet ouvrage aux chapitres de notre colonie et des sociétés

l6 -- LETTRE A NOS LECTEURS

françaises ; il a pris le peu que nous possédons d'esprit et d'imagination, en nous servant beaucoup de l'esprit et de l'in- telligence d 'autrui ; il est aussi et je veux finir par - le maître absolu de notre conscience devant la vérité.

Sun Francisco, le 25 Novembre 1898.

A. MARS.

PREMIERE CAUSERIE

^UFFON a dit: « Le style, c'est l'homme». Mais il nous semble que cette assertion du grand naturaliste, vraie pour la lettre intime, est paradoxale quand il s'agit du livre, car le style est l'écrivain plutôt que l'homme. En effet, le livre masque presque toujours l'auteur. Pourquoi ? Parce que le livre est une œuvre d'art ou de volonté pour laquelle l'auteur se propose un but bien défini et dans laquelle il se montre, non ce qu'il est réellement, mais ce qu'il désire paraître. Ce n'est donc pas dans le livre qu'il convient de le chercher : il n'est pas là.

Pardon ! nous nous trompons. Il est là, s'il y a en tête de son livre une préface, un avant-prooos, une lettre ou simnlement une première causerie. Là, c'est le style à nu ; le livre, c'est le .style habillé.

« Les vêtements voilent les formes ; en style comme en sculpture, il n'y a de beau que la nudité », a dit Lamartine. La nature a fait le corps, l'homme a fait sa parure. Voulez-vous voir le chef-d'œuvre ? Dépouillez la statue. Cela est aussi indispensable pour l'esorit que nour le corps.

Une causerie n'est plus le style ; c'est la pensée même. Et c'est pour cela que nous vous prions, chers lecteurs, de ne pas lire cette Monographie sans faire connaissance avec son auteur et vous rendre compte, en même temps, des intentions qui ont présidé à la publication de cet ouvrage.

L'intention du Comité de Publication du livre Lk.s Pvkk- NÊES ET LA CALIFORNIE est des plus louables, puisqu'il n'a visé que l'émancipation de notre colonie en ce pays, et le programme qu'il nous a ordonné de suivre en est une preuve convaincante.

l8 PREMIÈRE CAUSERIE

Propager parmi nos hôtes notre littérature, qui est l'influence la plus autorisée de la France, est toujours un service appré- ciable rendu à la mère-patrie.

Quant au programme, il nous était d'autant plus agréable de l'exécuter qu'il se trouvait en accord parfait avec nos principes et nos convictions : être sincère, et ne jamais verser ni dans la polémique ni dans la chronique scan- daleuse.

Malheureusement, bon nombre de nos compatriotes, en raison de l'état de division actuel de notre colonie, s'attendaient à une œuvre de parti, de clan, ayant pour but de satisfaire quelques ambitions personnelles. Il n'en est rien. Que ceux qui comptaient lire un ouvrage semblable, indigne d'un Français, ferment ce livre incapable de les satisfaire.

Cette étude, nous ne saurions trop le répéter, est purement française, d'un intérêt général et d'une impartialité intran- sigeante, nous osons l'afiàrmer.

La première des conditions, pour écrire l'histoire, c'est, à notre avis, le souci de la vérité ; la seconde est de trouver, dans le discernement qui doit être la qualité primordiale de l'histo- riographe, l'appréciation d'estime et de gloire qu'il doit accorder à chacun des héros et des faits de son ouvrage ; la troisième, c'est le style, qui doit toujours être digne du sujet qu'il traite. Et, comme il s'agit ici de la France et de ses enfants, il devra nécessairement être noble, loyal, limpide, concis, et, par-dessus tout, chaud et vigoureux, comme cette race vaillante, enjouée et poétique.

Nous n'aurons pas la folle outrecuidance d'assurer nous- même que nous avons satisfait à toutes ces exigences ; nous nous sommes efforcé de le faire, et c'est tout ce qu'il nous est permis d'affirmer.

Plaire à tout le monde est une vertu qui ne saurait être accordée à aucun être humain tant qu'il y aura des vanités, des ambitions et des intérêts personnels à satisfaire, et cette vertu n'est certes pas prête à briller dans notre pauvre humanité, vaniteuse par instinct, capricieuse, versatile et le plus souvent arbitraire, hélas !

l'REMifcRE CAUSERIE I9

11 faut attendre son ju<^emeiit sans bravades, mais aussi sans défaillances.

Invoquer l'histoire de la race méridionale, si caractéristique, aux traditions séculaires, aux légendes poétiques ou batailleuses, au patriotisme ardent et fier, à la langue vive et colorée, sortie de l'âme populaire comme l'alouette des sillons, n'est pas une mission des plus modestes.

Nous en comprenons la grandeur qui, nous l'avouons, est bien au-dessus de notre talent. Aussi avons-nous nous aider des lumières et du génie des auteurs qui se sont rendus célèbres en écrivant l'histoire de ces admirables provinces du ^ud-Ouest de la France.

La première partie de ce livre lui est consacrée, ainsi qu'aux héros qui l'ont glorifiée. La deuxième partie comprend un chapitre sur la Californie, principalement sur sa métropole et le développ^m^nt extraordinaire de celle-ci depuis la décou- verte de l'or. La troisième partie est exclusivement réservée à la colonie française de San Francisco, depuis le premier de nos compatriotes débarqué en Californie jusqu'cà nos jours.

Nous croyons nécessaire d'ajouter ici que les gravures qui ornent ce volume sont inédites pour la plupart.

Comme on le voit, par la complexité de ce programme et par la brièveté de l'espace que la nature même de cet ouvrage nous impose, il nous sera bien difficile de contenter toutes les exigences, et de nombreux faits, fort dignes d'être rapportés ici, ne seront négligés que par force majeure.

Nous prions, en consérpience, le lecteur, vieux Californien, de bien vouloir nous excuser si nous ne donnons pas toujours entière satisfaction à. ce qu'il connaît très probablement mieux que nous-même.

Chaque pays, chacjue province a son histoire particulière, histoire qui attire la curiosité de l'étranger et fait toujours l'enthousiasme de l'indigène.

Kn effet, l'histoire du pays (lui nous a vus naître, du sol nourricier ([u'enfant nous avons parcouru, des hommes célèbres dont les noms nous sont si chers, fait toujours vibrer au fond

20 PREMTERE CAUSERIE

de nous-même les cordes les plus délicates de notre âme et de notre patriotisme.

Un roman, l'histoire d'un pays quelconque peuvent nous émouvoir, nous sembler admirables, instructifs, charmants ; mais ils ne nous touchent pas comme l'histoire de notre propre contrée. C'est encore une des raisons principales qui ont déterminé la publication de cet ouvrage.

Loin de nous la pensée de prétendre être à l'abri de toute critique ou de tout commentaire ; on ne critique ou on ne commente pas, que nous sachions, les inutiles et les ineptes ; l'observateur intelligent passe et hausse les épaules.

Donc, la critique, qui prouve l'intelligence du lecteur, nous prouvera également que notre œuvre a sa valeur et peut-être aussi sa nécessité.

(( A l'oeuvre, on connaît l'artisan )>, nous dit le bon Lafontaine, qui, plus qu'aucun autre, connaissait son public français, chez lequel le sentiment artistique est inné et lui fait apprécier par-dessus tout l'enchaînement et la parfaite clarté de l'expression. N'est-ce pas cela qui l'a rendu le plus clairvoyant des critiques ?

Rien ne serait plus prétentieux que vouloir amener tout le monde à penser de la même manière, et n'est-ce pas faire œuvre de bon sens que respecter toutes les ooinions ?

Mais où, à notre avis, l'homme devient exécrable, c'est quand il est poussé à la critique injuste par l'aveuglement de la haine, c'est quand il dit ou écrit ce qu'il ne pense pas au fond de lui-même. Autant celui qui lutte franchement pour une idée ou un principe nous paraît loyal et digne de la plus haute considération, autant l'autre, l'insulteur à gages, nous paraît vil et méprisable.

Hélas ! notre expérience nous l'apprend encore tous les jours. Ce crime invraisemblable, monstrueux, est le fait habituel et presque universel de la race humaine.

L'homme n'a-t-il pas souvent répudié ses plus grands bienfaiteurs, ses plus grands génies, pendant leur vivant ?

Le genre humain méconnaît souvent le génie sublime ; il n'apprécie vraiment les bienfaits de l'homme de talent qu'en

PKEMIKRE CAISF.RIE

mesurant le vide laissé par sa disparition et en constatant r irrémédiabilité de sa perte.

Lequel d'entre nous n'a-t-il jamais dit : « C'est un homme vraiment supérieur ; eh bien ! la postérité lui rendra justice ! » Et l'on oublie que cette intelligence géniale lutte misérablement contre les étreintes angoissantes de la misère et souvent, hélas ! de la faim...

Ceci n'est-il pas le fait-même de la médiocrité qui caracté- rise les neuf-dixièmes de l'humanité ?

Au fond, le médiocre qui ne se croit pas méchant, au contraire ! voudrait tout simplement anéantir tout ce qui lui est supérieur. Il pique avec des épingles, et se réjouit de voir le sang couler à petits filets, tandis que l'assassin a peur, lui, du sang qu'il verse.

Le médiocre, lui, n'a jamais peur; il se sent appuyé sur la multitude de ceux qui lui ressemblent.

Mais arrêtons le cours de nos réflexions et revenons à notre véritable sujet.

Disons enfin, pour terminer et pour qu'il n'y ait pas d'équivoque possible en ce qui concerne la matière contenue dans ce livre, que nous n'apportons point ici de prétentions littéraires personnelles. Ainsi que le dit le sage Montaigne en ses Essais : ce J'ai seulement faict icy un amas de fleurs étran- gères, n'ayant fourni du mien que le filet à les lier. »

Nous profitons de l'occasion unique qui se présente pour remercier publiquement les personnes qui nous ont prêté leur gracieux concours, entr'autres ^L Masson, le distingué biblio- thécaire de l'œuvre admirable de la Ligue Nationale : la Bibliothèque Françai.se de San PVancisco.

A. MARS.

LES PYRÉNÉES

. ET . .

LA GALirORNIB

^:^

PREMIERE PARTIE

LE B É A R N

CHAPITRE I

Le Bêarn et ses Origines. La Bataille de Vouillê. Dagobert. Henri IV, sa Vie, son Règne et sa Mort. Batailles, Anecdotes et Bons Mots. Contes dans le Style du Temps.

L EST, de nos jours, un peuple qui se distingue de tous les autres par l'universalité de son caractère, de \^ son génie, et par la merveilleuse variété de ses ^'^"^^ aptitudes. Agriculteur, industriel, commerçant, artiste et poète ; mobile, impressionnable, tour à tour pieux jusqu'à la superstition et sceptique jusqu'à l'incrédulité ; brave, tenace, impétueux, aimant le bruit pour le bruit, la gloire pour elle-mê- me, et semant ses fils par les quatre parties du monde par simple goût des aventures ; au demeurant, sympathique à tout et à tous, s' efforçant de plaire et de se rendre agréable, en cher- chant à résumer en lui seul notre humanité. Ce peuple, c'est le peuple méridional ; c'est le peuple du Sud-Ouest de la France. L'histoire des peuples, qui a été l'objet de si brillantes études des érudits et des anthropologistes, nous autorise à faire une comparaison au commencement de ce livre : D'où provenaient les anciens Gaulois?

26 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Évidemment, des hauts plateaux de l'Asie. Partis, comme Attila, des confins de la Chine, les premiers Gaulois ont proba- blement mis des siècles à se répandre, de proche en proche» jusqu'aux rivages de l'Atlantique, et, perdant dès lors la terre ferme sous leurs pieds, ils s'y arrêtèrent et débordèrent toujours, à n'en pas douter, dans les deux péninsules, par-dessus les Alpes et les Pj-rénées.

Et maintenant, d' provenaient les anciens Béarnais ?

L'origine du Béarn, ou Pa^nis Beamensis, est plutôt faite de légendes, et n'a point d'annales ; ou, si l'on veut préciser, leur histoire sort de la pénombre des traditions vers 419, époque de sa conquête par les Wisigoths, qui furent précédés par les Suèves, les Alains et les Vandales, membres de plusieurs tribus primitivement établies entre l'Oder et la Vistule, et qui se répandirent ensuite dans le Midi de l'Europe et même jusqu'en Afrique.

« Les Wisigoths, disent les mémoires du temps, ont le » teint blanc et les cheveux presque blonds ; tous sont de » grande taille et de belle mine ; ils sont tous régis par les » mêmes lois, font profession de la même religion et suivent la » doctrine d'Arivis ; ils parlent tous la même langue, la langue » que l'on appelle gothique. »

Le Béarn, avant l'arrivée de César, fut habité par les (( Beneharnii, » dont la ville principale était « Beneharnum )i. Après avoir fait partie de la « Novempopulanie » ou (( Troisième Aquitaine )), c'est-à-dire « Pays des Eaux », que César désignait comme une des trois grandes divisions de la Gaule, à l'époque de la conquête romaine, elle occupait le Midi, entre la Garonne, les Pyrénées et l'Océan, et renfermait un grand nombre de peuples, Ibères d'origine, ce qui à fait dire à G. de Humboldt que la race basque descendait en droite ligne des Ibériens, grâce aussi à sa ressemblance physionomique, psychologique et lin- guistique avec ces derniers, dont les Basques ont encore conservé jusqu'à nos jours les traits principaux.

Quoi qu'il en soit, le Béarnais, placé entre le Basque incontestablement Ibérien, et le Bigorrais, très probablement Gaulois, conserve le type spécial qui révèle une colonie grecque

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 27

et latine, avec son exquise douceur de langage et sa courtoisie proverbiale.

Son histoire, à travers les âges, est une des plus nobles et des plus intéressantes à lire ; la liberté a poussé au milieu d'eux de toute antiquité ; brave, farouche, généreuse et fière, aussi sobre et aussi vigoureuse qu'une branche de houx, aussi indigène et aussi dure qu'une tige de buis. Tous, ils ont goûté du miel de l'H>mette et ils ont sucé le lait de la louve romai- ne : le sang impétueux des Cantabres, des Vascons et des Ibères a été mélangé au sang pourpre et bouillant des paladins fameux fîls de la Gaule, dans les durs corps-à-corps, dans les assauts hé- roïques et dans les combats fabuleux. Ils ont encore, marqué sur leur front, le sceau génial de la race françai.se du Sud-Ouest de la Gaule.

Le Béarn, compris actuellement dans les départements des Basses-Pyrénées et des Landes, de nos jours une merveille, était autrefois une province montueuse et sèche, peu fertile, mais (^ui cependant était tapi.ssée de quelques magnifiques vallées fruc- tueuses en pâturages qui s'étendaient à perte de vue ; elle était bordée au Nord par la Chalosse, le Tursan et l'Armagnac, une nartie de la Gascogne, qui la limitait aussi à l'Kst et à l'Ouest. Les Pyrénées et le pays de Soûle la séparaient, au Sud, de la Basse Navarre.

Après la fameuse bataille de Valon ou Vouillé en 507, gagnée nar Clovis i^-^ sur Alaric II, roi des Wisigoths, les Vascons se laissèrent déposséder par Dagobert dont la naïveté et la bonté ne furent qu'une erreur historique devenue proverbiale. En effet, qui ne connaît la légendaire chanson du « Bon roi Dagobert » ?

Ouvrez l'histoire et vous verrez que Dagobert était un roi passionné, à l'occasion bon ou mauvais. On sait qu'il épousa successivement cinq femmes et qu'il eut toujours à la fois un grand nombre de concubines. Il se montra, en outre, dissolu et cruel ; il donna, une nuit, l'ordre d'égorger indistinctement tous lés Bulgares qui étaient veiuis lui demander asile en 651, quand ils furent chassés de la Painionie par les Avares.

Vers la même époque, il fit trancher la tête à tous ceux qui avaient le malheur de dépasser en hauteur celle de son épée

28 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Le grand Saint Êloi, un des types les plus populaires de la Gaule, lui avait forgé un siège d'or massif, et il égalait en faste les monarques les plus riches de l'Orient.

Sous les Carlovingiens, le Béarn, fut administré par des vicomtes, vassaux immédiats des comtes de Gascogne.

En 1819, Louis le Débonnaire établit un vicomte héréditaire en faveur de l'un des fils du duc de Gascogne, Loup-Centule, dont la postérité mâle s'éteignit en 11 34 ; plus tard, la maison de Moncade hérita du vicomte de Béarn par l'alliance de Marie, fille de Gaston VI, avec Guillaume de Moncade.

Le Béarn eut beaucoup à soufirir des incursions des Normands, et dut également traverser une longue période d'anarchie féodale, sans trop aliéner sa liberté. Entre autres, Gaston IV prit une part glorieuse à la première croisade.

A partir de 1460, les vicomtes transportèrent leur résidence d'Ortez à Pau, et, en 1465, le Béarn passa, par alliance, à la maison d'Albret ; Henri II, successeur de Jean d'Albret, épousa la célèbre Marguerite de Navarre, dont nous aurons l'occasion de reparler au courant de ce livre. On sait que Marguerite était sœur de François i^"", qui l'adorait. De cette union naquit la grande et héroïque Jeanne d'Albret, qui, mariée à Antoine de Bourbon, donna naissance au héros béarnais : Henri IV.

L'avènement de ce prince réunissait le Béarn à la France ; mais le pays, jaloux de ses « fors » ou libertés, ne l'entendit pas de cette oreille et voulut continuer à bénéficier de son indépen- dance nationale. On attribue au roi gascon cette phrase qui eut le don de calmer momentanément les susceptibilités des Etats du Béarn.

« Je ne donne pas le Béarn à la France, mais bien la France au Béarn ! »

Cette prophétie ne tarda pas à se réaliser, comme nous Talions voir.

Le descendant de Saint Louis, le légitime successeur de Henri III au trône de France, est aussi l'âme, la gloire, l'amour, et, en un mot, l'histoire même du Béarn. Il est peu de princes, de physionomies de rois dont les Français se rappellent avec plus de joie patriotique, d'orgueil et de plaisir.

HENRI ly D'après un dessin d'Alphonse de Neuville.

30 LES PYRENEES ET LA CAXIFORNIE

Tour à tour gai, singulier, dramatique et romanesque, on se représente toujours ce héros l'amour, Tidole des Huguenots, comme le véritable chevalier inconstant et superbe, de la race française.

trouver une physionomie plus noble et plus française ? trouver un cœur plus chaud et plus magnanime ? trouver une épée plus brave et plus hardie ?

Il échappa constamment aux ruses de la lyigue, la com- battant par la force quand elle se montrait franchement à lui. Mais ni la guerre ni les soucis de la politique n'empêchaient le jeune Béarnais de songer à ses ardours. Entre deux rencontres, il écrit à Diane à sa Diane et ces lettres, ceg-^feillets écrits à la hâte, un pied déjà dans l'étrier, sont la *chose la plus naïve, la plus gracieuse, la plus franche qui puisse se lire. Ce sont ces poétiques batailles, ces entreprises hardies, ces coups d'audace incomnarables qui .lui ont valu cette popularité imtnortelle dans toute la France et peut-être même dans le tnotide entier.

vSans doute, tout le monde connaît les historiettes tant de fois racontées à propos de sa naissance : Henri .d'Albret, son grand-père, voulut que sa fille chantât une chanson |)éarnaise dans les douleurs, « afin de ne pas faire, disait-il^, un enfant nleureur et rechigné ». Le 14 décembre 1553 et non le 13, comnie on l'a souvenf écrit à tort, date de la naissance du futur roi de France, Henri d'Albret éleva son petit-fils dans ses bras avec un cri de triomphe et s'écria : « Ma brebis a

enfanté un lion ! » Puis, il lui frotta les lèvres avec un cap

d'ail et les lui humecta avec du vin de Jurançon.

Le futur monarque fut élevé en petit montagnard, jouant et se mesurant avec les enfants de son âge, qu'il dominait par son intelligence et son agilité. Il vaguait, dit-on, nu-pieds, en nlein hiver, couvert de vêtements grossiers et nourri d'alimetits conmuns.

En même temps que cette forte éducation physique déve- loppait sa vigueur et sa hardiesse, on le confiait à des maîtres pleins d'érudition et de sagesse, qui étaient chargés de cultÎA-er son esprit déjà d'une surorenante clairvoyance ; et, de plus, sa

LUS PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 31

mère, ardente et sévère calviniste, le nourrissait dans les pri icipes de sa foi.

Vers 1561, il lut conduit à Paris, oià sa gentillesse et ses grâces agrestes charmèrent la cour, et il reçut, au Collège de Navarre, une instruction supérieure à celle de la pluparr des princes et des gentilshommes de son temps. Henri connaissait les classiques grecs et latins ; il faisait de Plutarque sa lecture habituelle et serait devenu un véritable savant, si sa mère n'était venu le chercher il n'avait alors que quinze ans pour le précipiter dans la guerre civile. Elle le conduisit elle- même, à travers l'armée catholique, au camp des calvinistes, à la Rochelle, et le donna aux siens pour général, en 1569.

Il fit ses premières armes à Jarnac et s'y comporta si bravement qu'il étonna tous les chefs qui l'entouraient. Il avait conduit avec une impétuosité merveilleuse et un sang- froid extraordinaire la première charge de cavalerie. Quelle éducation et quels hommes!.... La mort de Condé le fit reconnaître comme le chef du parti, sous le commandement effectif de Coligny.

Henri IV sera toujours le héros superbe de ces vieilles guerres, qui furent les plus poétiques de France. On les faisait par plaisir et par bravoure bien plus que par intérêt ; c'était une chasse aux fanatiques, dirigée par le premier libre-penseur de l'époque ; on y jouissait des aventures, des dangers et des émotions, égayés par la liberté des champs et le radieux soleil du Midi. Le Béarnais présidait à ces campagnes avec un entrain de Gascon, une verve de soldat éclatant par bruscjucs saillies, en poussant de la pointe contre les ennemis.

On ne voit pas, dit un historien, de grosses masses d'honiines se heurter lourdement et tomber par milliers sur la plaine. Le roi sort de Pau ou de Nérac, avec une petite troupe, fait prisonnières en passant les garnisons voisines, escalade une forteresse, coupe en deux un parti d'arquebusiers qui tente de lui barrer le passage, se dégage d'un groupe d'ennemis en forçant leurs lignes au cri de: Ventre-saint-gris! l)risant tout sur son passage avec l'impétuosité d'un lion, et revient aux pieds de Mlle de Tignonville.

Toutes les expéditions se font par des surprises et la

32 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

plupart sont aussi des coups de fortune. Nous extrayons ce passage d'un rapport du secrétaire de Sulh' :

Le roi de Navarre fit dessein de se saisir des villes d'eaux, qui étaient à lui en propre, il courut de grandes fortunes. Le roi et quinze ou seize guerriers étaient enfermés dans la ville. Le tocsin sonnait furieusement, et un cri de : Arme !... arme !... et : Tue !... tue !... retentissait de toutes parts. Ce que voyant, le roi de Navarre, comme s'il eût été avec ses plus vaillants chevaliers, dès la première troupe qui se présenta de quelque cinquante, lui marchant le pistolet au poing, droit à eux, il cria :

Or, sus ! mes amis; mes braves compagnons ! C'est ici il faut montrer du courage et de la résolution, car d'icelle dépend notre salut. Que chacun me suive et fasse comme moi, sans tirer le pistolet qu'il ne touche !....

Tout à coup, oyant ceux qui criaient: " Tirez à cette jupe

d'écarlate, à ce panache blanc, c'est le roi de Navarre! " il les

chargea avec de telle impétuosité que, sans tirer que cinq ou six coups, ils prirent l'épouvante et s'ensauvèrent. Cette irrésolution donna moyen et loisir de faire ouverture des portes et à toutes les troupes de se présenter, à la tête desquelles le roi se mit, voyant la plupart des peuples s'enfuir et des consuls avec leurs chaperons s'écrier :

Sire, nous sommes vos sujets et vos meilleurs serviteurs !

Il se mit à la tête pour empêcher le pillage ; aussi ne commit-on aucune violence ni désordre, sinon que quatre punitions sévères, qui avaient tiré au panache blanc, ils furent pendus, avec la joie de tous les autres habitants, qui ne pensaient pas devoir en être quittes à si bon marché.

Après le désastre de Montcontour, il continua avec un courage et une persévérance inouis, n'ayant que des débris des armées protestantes, cette guerre de coups-de-mains hé- roïques, qui dura jusqu'à la paix de Saint-Germain, en 1570.

Cette paix une infamie de Catherine de Médicis, du Pape et de Charles IX devait recevoir, deux ans plus tard, le terrible camouflet de la Saint-Barthélémy. Reproduisons, à titre historique, une partie de la lettre du Pape à Catherine ; elle servira peut-être à alléger la terrible responsabilité de la maison de Valois :

Comme il ne peut y avoir de communion entre Satan et les

fils de la Lumière, on se doit tenir pour assuré qu'il ne doit y avoir

I.KS PYKKNKKS KT LA CALIKORNIK 33

aucune composition entre les catholiques et les hérétiques, sinon pleine de fraude et de feintise

On sait que, comme gage de réconciliation, Henri épousa, mais à contre-cœur, Marguerite de Valois, dont tout le monde connaît la vie galante.

Le mariage de Henri de Béarn avec la sctur du roi était, pour les protestants, i:n gage précieux de raccommodement, mais que la malignité des courtisans interpréta tout autrement. Charles IX n'avait-il pas dit :

« En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn, je la donne à tous les huguenots du royaume ! »

Le mariage fut célébré au Louvre, le 18 août 1572, et les fêtes auxquelles il donna lieu, en attirant à Paris toute la noblesse calviniste, suggérèrent à Catherine de Médicis, de triste mémoire, l'idée des massacres de la Saint-Barthélémy.

Pendant ce temps, Henri n'échappait à la mort qu'en abjurant, et il était ensuite retenu prisonnier au Louvre. On conçoit qu'il n'ait eu que fort peu d'affection pour la sœur d'un roi qui l'avait attiré dans un tel traquenard. .

Charles IX lui avait laissé le choix entre la messe et la mort, et il s'était prudemment décidé pour le premier parti ; il embrassa solennellement le catholicisme.

Catherine de Médicis, cette mégère corruptrice de ses propres enfants, ne dédaignait pas non plus d'emploj'er avec lui sa ressource ordinaire, afin de le retenir et de l'énerver, en présentant sans cesse de nouveaux objets à ses galanteries. Ajoutons à cela sa jeunesse, l'ardeur de son tempérament, la contagion de l'exemple, sa souplesse méridionale, et nous aurons l'explication de sa conduite à cette époque.

Cependant, soit que la honte le prît de vivre dans cette boue de la cour des derniers Valois, soit qu'il cédât aux sugges- tions du duc d'Alençon, soit qu'il regrettât son rôle de chef de parti, il s'enfuit pendant une chasse à Senlis (1576), rétracta à Tours son abjuration et reprit le commandement de l'armée calviniste. Il joua dès lors un rôle décisif, plein de noble.s.se et d'ardeur, dans toutes les attacjues, entrecoupées de traités, qui

34 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

ensanglantèrent la fin du X\^I'' siècle, et s'}- fit remarquer par la conquête de nombreuses places fortifiées dans la Guyenne, la Saintonge et le Poitou, et surtout par la fameuse victoire de Coutras (1587), fut tué le duc de Joyeuse, mignon de Henri III, nommé général-en-chef de l'armée catholique.

L'armée de M. de Joyeuse, dit Péréfixe, était toute brillante d'or, de clinquant, d'armes damasquinées, de plumes à gros bouillons, d'écharpes en broderie, de casaques de velours, dont chaque seigneur, suivant la mode de ce temps-là, avait paré sa compagnie.

Celle du roi de Navarre était toute couverte de fer, n'aj'ant que des armes grises et sans aucun ornements, de grands collets de buffle et des habits de fatigue.

De plus, les officiers de Joyeuse n'étaient que les mignons de Henri III, tandis que les soldats du roi de Navarre étaient les glorieux débris de Jarnac et de Montcontour, commandés par un homme de génie et des lieutenants rompus au métier de la guerre.

Au moment oii Henri allait faire sonner la charge, un des ministres l'arrêta en lui disant publiquement que Dieu ne bénirait point ses armes s'il n'effaçait auparavant le scandale qu'il avait donné, à la Rochelle, en débauchant une jeime fille de condition et en rendant à une famille distinguée l'honneur qu'il lui avait ravi. On voit que, de tout temps, cet intrépide galant mena de front l'amour et la guerre. Malgré l'inooportu- nité d'une telle remontrance, Henri sentit qu'il devait obéir ; il mit un genou en terre, et le brave des braves, les yeux remplis de larmes, jura qu'il ferait toutes les réparations convenables, en demandant humblement pardon à Dieu de sa faute. Cette soumission, peut-être plus politique que sincère, fut aussitôt suivie de la prière générale en usage chez les protestants dans ces circonstances solennelles ; les ministres Chaudieu et d'A- mours entonnèrent le verset xii du psaume 118 :

La voici, l'heureuse journée Qui répond à notre désir !

A la vue de cette armée prosternée, la folle jeunesse qui entourait Jo^'euse éclata en rires moqueurs :

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 35

c(. Par la mort ! ils sont à nous ! Les voilà c^ui tremblent et se confessent

» Vous vous trompez, répliqua Henri. Quand nos hommes font cette mine, c'est qu'ils sont résolus de vaincre ou de mourir ! »

L'affaire s'engagea aussitôt par quelques volées de canon. Le roi de Navarre, se tournant alors vers les princes de Condé et de Soissons :

« Souvenez-vous, leur dit-il, que vous êtes du sang des Bourbons, et, ventre-saint-gris ! je vous ferai voir que je suis votre aîné !

» Et nous, répondirent-ils, nous vous montrerons, frère, que nous sommes vos cadets ! »

On sait que Joueuse avait quinze cents cavaliers de plus qu'Henri.

Les catholiques eurent tout d'abord l'avantage ; un gros de cavalerie de leur aile gauche aborda impétueusement les Gascons et les enfonça. Cet échec entraîna la déroute de tout l'escadron commandé par le vicomte de Turenne. L'armée de Joyeuse cria victoire et poussa droit aux bagages pour pouvoir piller, sans se mettre en peine de ce qui se passait ailleurs. A ce moment, les capitaines de Henri, Montgomer}- et Belzunce, croyant la bataille perdue et transportés d'un désespoir hé- roïque, s'élancèrent à la tête d'un bataillon de trois cents hommes.

« lînfants, criaient-ils aux soldats, il faut périr, mais que ce soit au milieu des ennemis. Allons ! l'épée à la main ! il n'est plus question d'arquebuses ! »

Tous, alors, comme des lions déchaînés, se précipitent sur un corps d'infanterie composé de trois mille hommes et y creusent une trouée sanglante oii pénètre impétueusement le reste de l'armée protestante.

Mais c'est à l'endroit combattent les chefs des deux armées que va se décider le succès de la bataille. Joyeuse, ayant formé sa gendarmerie sur une seule ligne, la lance au galop sur les trois Bourbons, qui l'attendent de pied ferme à la tête de leurs escadrons, disposés sur six lignes de profondeur

3^ ~ I-ES PYRÉNÉKS KT I.A CALIFORNIE

et dans l'intervalle desquels Henri avait fait poster des arque- busiers qui fusillaient l'ennemi d'une main sûre. Le choc des deux cavaleries fut terrible ; il s'ensuivit une courte et sanglante mêlée oii le roi de Navarre et ses deux cousins, se tenant mutuellement parole, déployèrent la valeur et l'audace des anciens paladins. Henri, la crinière au vent, comme un lion, abattait de son arme puissante tout autour de lui, et, ayant fait plusieurs prisonniers de sa main, non sans jeter ce cri moqueur et terrible à la fois, de « Ventre-saint-gris ! » se lança contre le vaillant Château-Regnard, cornette de gendarmes, et, le saisissant par le bras, il lui cria, de ce ton qui n'appartenait qu'à lui :

(c Rends-toi, Philistin, ou je te décroche ton bras de mannequin !.... »

Cette victoire fut d'autant plus glorieuse pour le roi de Navarre, que c'était la première bataille rangée gagnée par un parti qui avait été constamment battu sous les plus habiles capitaines. Au reste, Henri, comme toujours, se montra digne de cet éclatant triomphe par sa modération et son humanité envers les vaincus. Comme on venait lui présenter, le soir, pendant qu'il était à table, les bijoux et les autres magnifiques bagatelles provenant de la dépouille des mignons :

« Qu'on remporte ces colifichets, dit-il, bons pour des comédiens. Le véritable ornement d'un général est le courage et la présence d'esprit dans une bataille, et la clémence après la victoire. »

Henri IH ayant été presque chassé de Paris par l'ambitieux, duc de Guise, qui sous prétexte de catholicisme et d'orthodoxie ne visait rien moins qu'à le réduire au rôle de roi fainéant et à ressusciter Charles Martel, se jeta en 1588, après quelques hé- sitations, dans les bras des protestants et joignit ses forces à celles du roi de Navarre pour marcher contre le duc de Guise, chef des ligueurs. Il fut assassiné à Saint-Cloud par le moine Jacques Clément, au commencement du siège de Paris en 1589. Le duc d'Anjou étant mort en 1584, Henri de Bourbon, roi de Navarre, se trouvait être l'héritier direct de la couronne. Mais il n'était guère reconnu que par les villes du Midi et par une por-

i,i-:s i'VKivNi-:i':s kt i.a cai.ii-(jknik - 37

tion de l'armée. La plupart des chefs du roi refusaient de se soumettre à un prince hérétique, excommunié par le pape ; la Ligue, un moment en péril par l'union des deux rois, était re- devenue plus formidable que jamais ; soutenue par l'or et les troupes de ri{spagne et par le fanatisme d'une multitude en délire, elle avait proclamé, sous le ncm de Charles X, un fantôme de roi, le vieux cardinal de Bourbon ; et son capitaine, le duc de Mayenne, tenait la campagne pvec trente mille hommes. Henri jugea prudent d'abandonner momentanément Paris. Poursuivi à travers la Normandie par Mayenne, il gagna sur lui la bataille d'Arqués ( 15S9), vint tenter un coup de main sur Paris, échoua faute d'artillerie, se replia sur la Normandie, soumettant la plupart des villes sur son pas.sage, et battit encore l'armée du duc de Mayenne à la mémorable bataille d'Ivry ( 1590).

Cette bataille, dont nous allons citer rapidement les princi- pales péripéties à nos lecteurs, est la plus importante action de la vie militaire de notre héros.

Les ligueurs comptaient douze mille fantassins et quatre mille cavaliers, auxquels le Béarnais ne pouvait opposer que huit mille hommes à pied et trois mille montés. L'armée de Mayenne, comme celle de Joyeuse à Coutras, étalait un luxe étrange de riches armures, de harnais de prix ; comme à Coutras aussi, la cavaleiie de Henri n'était armée que d'épées et de pistolets. Henri avait autour de lui, cette fois, la fleur de la noblesse catholique et protestante : son cousin de Conti, La Trémoille, du Plessis-Mornay, Rosny, etc. Les historiens du temps racontent une anecdote des plus intéressantes au sujet de Henri et du colonel Schomberg. Quelques jours auparavant, Schomberg avait demandé au Béarnais la paye de ses troupes ; Henri qui, comme on le sait, n'était guère un homme de finance, lui répondit bru.squement « que jamais homme d'hon- neur ne demandait argent la veille d'une bataille ». Au moment d'engager le combat, le roi se rappela ce mot trop vif, et. s' approchant de Schomberg :

(( Monsieur de vSchomberg, lui dit-il, je vous ai oflensé ; cette journée peut être la dernière de ma vie ; je ne veux point

3^ LES PYRÊNéES ET LA CALIFORNIE

emporter l'honneur d'un gentilhomme. Je sais votre valeur et votre mérite ; pardonnez-moi et embrassez- moi.

» Il est vrai, Sire, répondit le colonel, Votre Majesté me blessa l'autre jour, mais aujourd'hui elle me tue, car l'honneur qu'elle me fait m'oblige de mourir pour son service. »

Il tint parole et mourut en combattant vaillamment à côté du roi.

Avant de donner le terrible signal, chaque parti invoqua le secours du ciel. Henri nourrissait des sentiments religieux indépendants de toute secte, et on le vit, dans cette circonstance solennelle, monté sur son superbe cheval de bataille et armé de toutes pièces, mais la tête découverte, invoquer à haute voix le dieu des combats.

Un immense cri de : « Vive le roi ! » répondit à l'invocation de Henri. C'est alors qu'il aurait adressé à ses troupes cette harangue si connue :

(( Mes amis, vous êtes Français, je suis votre roi, voilà l'ennemi ! A eux ! Si vous perdez votre cornette, ralliez-vous à mon panache blanc : vous le trouverez toujours sur le chemin de l'honneur et de la victoire !.... »

Sur le cimier de son casque ondulait un magnifique pana- che de plumes de paon blanc, comme pour se faire reconnaître de'plus loin à ses amis et à ses ennemis.

L'action préluda par quelques volées meurtrières parties des six canons qui composaient l'artillerie royale, dirigée par le grand maître La Guiche ; puis les deux cavaleries s'abordèrent dans un choc épouvantable. Le duc d'Aumont culbuta les chevau-légers de la Ligue ; les chevau-légers royalistes pliè- rent sous la charge d'un escadron de Wallons, qui, par une folle bravade, vint donner de la croupe de ses chevaux contre le canon du roi. Pendant ce temps, le choc décisif avait lieu sur un autre point. Comme le roi et Mayenne s'avançaient l'un contre l'autre, les reîtres de la Ligue, mis en désordre, d'abord par le canon, puis par les arquebusades des tirailleurs, se rejetaient sur le gros escadron de Mayenne et y portaient la confusion. En un instant, les deux troupes n'offrirent plus qu'une mêlée tourbillonnante et mugissante. Henri, après

i.Ks pyri:nki<:s ur la califoknte 39

avoir préparé sa bataille avec la science et le sang- froid d'un grand stratégiste, se comporta, une fois la lutte engagée, comme jadis Roland, le plus célèbre des paladins de Charlemagne, et sembla croire qu'il devait conquérir sa couronne à la pointe de son épée. Un instant même, on le crut mort ou prisonnier et son escadron renversé, parce que l'officier qui portait la cornette royale, ayant été aveuglé par un coup de feu, ne se soutenait plus qu'avec peine, et que, dans le même temps, un officier, dont le casque était, comme celui du roi, orné d'un panache blanc, fut jeté à terre d'un coup de lance. Déjà, les ligueurs criaient : « Victoire ! » et les royalistes flottaient incertains entre la défense et la fuite, lorsque Henri accourut, l'épée haute, couvert de sang et de poussière, s' écriant :

« Tournez visage, afin que, si vous ne voulez plus combattre, vous me voyez du moins mourir !.... »

Et il s'élança de nouveau dans la mêlée, entraînant ses troupes par un élan irrésistible. Le combat fut terrible, mais court. La valeur et l'expérience militaire l'emportèrent sur le nombre. IvC^ ligueurs et leurs auxiliaires subirent le sort des courtisans à Coutras.

Le roi remit ses escadrons en marche et poursuivit sa victoire. Partout, la cavalerie de la Ligue était en déroute, pressée l'épée dans les reins par les cavaliers de Henri IV.

La Ligue ne se releva jamais de ce coup terrible ; deux mille de ses cavaliers restaient sur le champ de bataille et toute son infanterie était tuée ou dispersée ; cinq canons et tous les drapeaux de l'ennemi tombèrent au pouvoir de la petite armée royaliste, jusqu'à la cornette blanche de Mayenne, .semée de fleurs de lis noires, et à l'étendard couleur de sang du comte d'Egmont.

Après cette glorieu.se journée, il vint de nouveau assiéger Paris, que la famine allait lui livrer, quand l'arrivée des trou- pes espagnoles, commandées par le duc de Parme, le contraignit de nouveau à la retraite. Il recommença alors la guerre de sièges, de coups de main, de marches hardies, qui l'avait déjà relevé si souvent. Arrêté à cha(iue instant par le manque d'argent et mer.acé de voir .son parti se dissoudre, il surmontait

40 LES pykknep:s kt la Californie

tous les obstacles par son intarissable gaieté, par les ressources de son esprit formé de longue main aux fluctuations de la guerre et de la fortune.

Cependant, la Ligue s'affaiblissait, déchirée par des divi- sions intestines ; les catholiques modérés commençaient à ouvrir les yeux sur les projets ambitieux de l'Espagne et gémis- saient sur les malheurs de la patrie ; le peuple, moissonné par la famine, se lassait des prédictions fanatiques des « moines- tribuns ». Henri lui-même n'était pas moins embarrassé que ses ennemis ; il voyait se perpétuer la guerre sans résultat décisif, et ouvrait l'oreille aux propositions de ceux qui lui répétaient que cette lutte fratricide ne pouvait finir que par la ruine de la France, ou par une transaction dont la seule base possible était sa conversion au culte de la majorité.

En réalité, cette transaction était depuis longtemps dans sa pensée, et il en avait même promis la réalisation aux catholiques qui suivaient son parti. Le mot qu'on lui prête au dernier mo- ment : « Paris vaut bien une messe ! » n'est pas invraisembla- ble, et l'on peut raisonnablement croire qu'un changement de religion n'était pas pour lui une affaire de conscience, mais une affaire d'État, et qu'il était en avance de mille coudées, pratique- ment parlant, sur tous ses contemporains, fanatiques enragés.

Il prit enfin son parti, eut quelques conférences à Saint- Denis avec des évêques, et abjura solennellement de nouveau le protestantisme, dans l'antique église de l'Abbaye, le 25 juillet 1593. Quelques jours avant, il avait écrit assez légère- ment à sa maîtresse qu'il allait faire « le saut périlleux, mais que cette vieille somnambule ouvrirait tout grand son giron pour le recevoir. »

Il fit son entrée dans la capitale le 22 mars 1594 ; le comte de Brissac, gouverneur de Paris, lui livra pendant la nuit l'une des portes de la ville.

L'or et les dignités, répandus à profusion, firent faire un grand pas à la pacification du royaume, après les terribles con- vulsions qui avaient failli précipiter la France aux abîmes et la livrer, morcelée et déchirée par les factions, aux entreprises de l'étranger.

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 4I

« \'ous le voyez, écrit-il quelques jours après ces événe- » tne-its, daiis au message envoyé à Pau, je ne donne pas le » Béarn à la France, mais la France au Béarn ! »

On ne peut méconnaître les services immenses que rendit ce prince pour l'unité et la nationalité françaises, sauvant la France de la ruine en étouffant l'anarchie ; destruction immé- diate de l'influence espagnole ; la restauration de l'ordre politique et de l'administration ; le développement donné au commerce, à l'industrie et à l'agriculture.

On lui doit aussi le plus grand projet du siècle, car il était l'initiateur du remaniement de l'Europe, qui devenait une fédération sous le nom de Grande République Chrétienne. Il faut encore honorer en lui le champion de la liberté de cons- cience, mais il finit par en être martyr, car tout en se préparant pour ses vastes projets, qui eussent assuré la liberté de l'Euro- pe et prévenu les horreurs de la guerre de trente ans, il tomba tout-à-coup sous le poignard d'un fanatique nommé François Ravaillac qui le frappa dans son carrosse, comme Caserio frappa récemment le regretté président de la République, Carnot.

On sait dans quelles circonstances et comment Ravaillac frapna Henri IV. Tout le monde disait alors que Henri IV allait faire la guerre au Pape. Les publications et les exhortations que l'on répandait alors pour justifier le tjTannicide exaltèrent beaucoup de fanatiques, parmi lesquels Ravaillac, qui jura de déterminer Henri IV à se ranger avec ceux de l'Eglise réfor- mée à l'Eglise catholique, apostolique et romaine, d'assas- .siner le roi. Il ne put pénétrer jusqu'à Henri IV. Deux jours après, Ravaillac, l'ayant vu dans son carrosse près des Inno- cents, s'écria : « Au nom de Notre vSeigneur Jésus-Christ et de la Vierge Marie, que je vous parle, vSire! » Il fut repoussé par les gardes, et comme il insistait vivement, le sieur de la Force lui dit :

« Retirez-vous, vous êtes un papault, un catholique à gros grains! »

A toutes les persoiuies que le malheureux rencontrait, il parlait de ses visions, et beaucoup lui répondaient de s'en retourner à Angouléme ou à Tourres, son village de nais.sance.

4^ LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Il y revint, en effet, mais bien décidé à tuer le roi. Ravaillac quitta de nouveau Angoulême le jour de Pâques 1610. Il entreprit son voyage à pied et arriva à Paris quinze jours ou trois semaines avant de perpétrer son crime. Le 14 mai, il entendit la messe à l'église Saint-Benoît, dîna dans une auberge avec son hôte et un marchand nommé Colletet, puis il se rendit au Louvre, dans l'intention de tuer le roi entre deux portes ; mais il ne put s'approcher en ce moment du roi qui était déjà monté dans son carrosse.

Ravaillac suivit le carrosse dans lequel se trouvaient le roi, le duc d'Êpernay, le duc de Montbaron, les maréchaux de La Force, de Roquelaure et de Lavardin, le premier écm-er de Liancourt et le marquis de ^Mirabeau. Lorsque le carrosse entra dans la rue de la Ferronnerie, alors fort étroite, il fut arrêté par un embarras de charettes ; la plupart des valets de pied entrèrent dans le cimetière des Innocents et il n'en resta que deux auprès de la voiture. Le roi était au fond, tournant le visage et penché du côté de M. d'Epernay.

L'assassin, passant son bras au-dessus de la roue du carrosse, lui donna dans le côté deux coups de couteau. Le premier coup fut dirigé entre la seconde et la troisième côte, un peu au-dessus du cœur. Le roi tomba mort sans faire entendre un cri.

Personne n'avait vu fiapper, et l'assassin aurait pu s'enfuir sans être reconnu, s'il n'était resté en place le couteau à la main, comme pour se faire voir. Un gentilhomme nommé Saint Michel mit l'épée à la main et en allait percer Ravaillac, lorsque le duc d' Epernay lui cria : « Assurez-vous de ce malheu- reux, mais ne le touchez pas. »

Un gentilhomme qui était à cheval, lui enleva prestement son couteau, on le saisit et on le fouilla. On trouva sur lui un distique dont il avait parlé et un cœur de coton qui lui avait été donné par M. Guillebaut, chanoine d' Angoulême, pour le guérir de la fièvre. Le 27 mai, Ravaillac, déclaré par le Parle- ment coupable de lèse-majesté divine et humaine au premier chef, fut condamné à la peine de mort, avec tenaillement, versement de plomb fondu et d'huile bouillante dans les plaies, etc.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 43 --•

Nous ferons grâce aux lecteurs des scènes douloureuses qui suivirent la mort du misérable; disons simplement que la France entière pleura et porta longtemps le deuil de son roi bien-aimé, qui fut le seul roi de France resté vraiment populaire, et comme le dit Guden de la Brennellerie, ami de Beaumarchais, dans une pièce de poésie faite pour un concours académique, en 1779 :

Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire, Il fut de ses sujets le vainqueur et le père !

Nous allons quitter avec regret le bon roi Henri pour poursuivre le but de notre livre. Qu'il nous soit permis de citer, pour terminer, quelques anecdotes qui égayeront, nous l'espérons, cette triste fin du grand roi.

Le nombre en est incalculable ; choisissons au hasard :

Henri IV, mettant la main sur l'épaule de Grillon, dit un jour à des ministres étrangers :

(( Voilà le premier capitaine du monde !

- Vous en avez menti, Sire, c'est vous ! » lui répliqua \-ivement Grillon.

On connaît le billet laconique que le Béarnais lui écrivit :

« Pends-toi, brave Grillon ! Nous avons vaincu à Arques,

» et tu n'y étais pas Adieu, brave Grillon ; je t'aime à tort

» et à travers ! »

Les bons mots de Henri IV semblent avoir mis sa cour en verve. Gomme il demandait un jour à une demoiselle d'honneur :

(( Par pourrait-on gagner votre appartement ?

Par l'église, Sire ! » lui répondit-elle finement.

Henri s'aperçut, un jour de bataille, que des boulets qui venaient d'une batterie placée sur une éminence, faisaient baisser la tête à plusieurs cavaliers, qui se redressaient aussitôt, dans la crainte d'être réprimandés par le roi.

(( Mes enfants, leur cria celui-ci, il n'y a pas de mal ; de pareilles visites valent bien une révérence ! »

A la bataille de Goutras, un officier et un soldat ennemis sautent ensemble à la bride du cheval du roi de Navarre, en criant : « Le roi est pris ! »

44 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

c( Ne savez-vous pas qu'on ne prend jamais le roi aux échecs ? » riposta Henri aux agresseurs, en fendant la tête à l'un d'un coup de sa terrible épée, et en brûlant la cervelle à l'autre avec son pistolet.

Henri, ayant entendu parler un jour d'un homme qui avait la réputation d'être très facétieux, voulut le voir et le fit mander auprès de lui. On le lui amena pendant qu'il dînait ; le roi le fit approcher de la table, vis-à-vis de lui, et lui demanda :

(( Comment t'appelles-tu, l'ami?

Sire, l'on me nomme Gaillard.

Jarnicoton ! continua Henri avec bonhomie, voilà un bien joli nom. Quelle distance peut-il bien 5^ avoir entre Gaillard et (( paillard » ?

Elle n'est pas grande, sire, répartit le malicieux drôle ; il n'y a guère que la largeur de cette table entre les deux !,.. ))

Henri causait un jour avec son jardinier de Fontainebleau, qui lui disait :

ce Ce terrain est des plus ingrats ; j'ai beau l'engraisser ; j'3^ perds mes peines ; rien ne profite, rien ne vient. vSemez-y des Béarnais, dit le roi, ils prennent partout. »

Henri IV jouait un jour avec ses enfants, qui s'étaient placés à cheval sur son dos, et qu'il promenait sur le tapis dans une posture peu royale.

Survint un ambassadeur d'Espagne :

« Etes- vous père, monsieur l'ambassadeur ? lui demanda le Béarnais.

Et, sur sa réponse affirmative :

» Alors, ajouta-t-il, je puis finir le tour de la chambre. »

Henri IV, voulut un jour faire connaître à un ambassadeur d'Espagne le caractère de ses ministres, Villeroi, Jeannin et Sully, et s'y prit d'une façon assez originale : il fit appeler d'abord Villeroi :

(( Voyez-vous cette poutre qui menace ruine? Sans doute, dit Villeroi sans lever la tête ; il faut la raccomoder ; je donner des ordres pour cela. »

Il appela ensuite le président Jeannin ; celui-ci, comme

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 45 -■

l'autre, sans lever la tête dit : <■( Il faut s'en assurer. « On fait venir Sully, qui, sur la question, regarde la poutre :

» Eh ! sire, s'écrie Sully, y pensez- vous ? Cette poutre durera plus que vous et moi. »

Nous avons vu le tragique et le grivois, passons main- tenant au caustique :

« lyC jeudi, dernier de ce mois et an 1609, j'ai acheté un » contre-poison et préservatif d'un jésuite nommé Baile de son » nom, et Rouet de son surnom, contre les erreurs des prétendus » réformés, qu'on crioit par les rues, et m'a cousté trois sols, » ce qui n'est point cher, la lumière de vérité étant presque )) toute éteinte ce jourd'hui par les brouées de sophisterie et de )) mensonge. »

Plus d'une fois, après la mort du roi de Navarre, les Béar- nais essayèrent de reconquérir leur ancienne autonomie ; les institutions égalitaires de la Révolution les ont attachés défini- tivement à la France.

Dans une autre chapitre, nous repa.ssons les évolutions de la province Béarnaise, ainsi que les mœurs, les coutumes et la langue du pays, ou, pour parler plus exactement, l'idiome béarnais.

LA GASCOGNE

CHAPITRE II

La Gascogne et ses Origines. Roncevaux.

La Chanson de Roland. Historique de la Province.

I LE BEARN a un glorieux chapitre dans l'histoire de notre belle France, la Gascogne n'y a pas moins ) jt2)l marqué son passage brillant ; et son auréole écla- V/ tante illumine encore la tête de la République Française. Comme le Béarn, la Gascogne fit partie d'abord de la Novempopulanie, puis de la Troisième Aquitaine.

L'origine du peuple qui habita la Gascogne est encore très controversée ; les légendes, plus que les annales, pourront nous mettre sur la seule et véritable voie.

Il y a tout lieu de croire que les Cantabres, si célèbres au temps des anciens Romains par leur courage indomptable, ainsi que les Vascons, descendants des Ibères, formèrent avec quel- ques tribus germaniques la race Gasconne de la rive gauche de la Garonne, tandis que les Béarnais et surtout les Basques, retirés sur le sommet des Pyrénées, auraient conservé la pureté de la race Ibérique.

Quoiqu'il en soit, les \"ascons envahirent complètement le territoire. Plusieurs expéditions, notamment celle de 602, com- mandée par Thierry de Bourgogne et Théodebert d'Austrasie, parvinrent à faire leurs chefs prisonniers, à les battre, à leur imposer des tributs ; leur résistance opiniâtre, leur courage sublime et héroïque firent qu'ils se maintinrent toujours dans

LES PYRENEES KT LA CALIFORNIE 47

leurs conquêtes, qu'ils s'y établirent solidement et finirent même par donner leur nom à la province, ils avaient déjà depuis longtemps choisi des chefs héréditaires portant le titre de ducs. De le nom en latin de Vasconia (Gascogne), qui forme aujourd'hui le département des Landes, du Gers, des Hautes- Pyrénées, de la Haute-Garonne et un peu de l'Ariège.

Charles Martel, quand il partagea ses états entre ses trois fils, Pépin Griffon et Carloman, oublia sans doute la Vasconie, qui ne fut pas comprise dans ce partage; c'est ce qui donna lieu à de terribles combats entre les auxiliaires du duc d'Aquitaine et les successeurs de Charles Martel. Les Gascons trouvèrent alors l'occasion de développer de nouveau l'intrépidité et l'habileté dans les combats qui les avaient rendus si redou- tables.

Par une politique qu'il croyait de nature à lui rallier les populations soumises, Charlemagne laissa à Loup-Centule le gou- vernement de la Gascogne. Il eut lieu de s'en repentir ; car, durant son expédition au delà des Pyrénées, les Gascons, sous la conduite de leur duc, tombèrent sur l'arrière-garde de son armée et la mirent en déroute, près de la vallée de Roncevaux. C'est dans cette bataille mémorable que le célèbre paladin Roland trouva une mort glorieuse. « Quand le grand empereur arriva à Aix, dit la célèbre Chavson de Roland, chef-d'œuvre d'un poète inconnu, voicy venir Aide, la douce Aide aux yeux clairs, la moult gente damoiselle, fiancée à Roland, qui demande à Charlemagne :

c( est Roland, le capitaine, qui a juré de me prendre pour femme ? »

Charles, alors, sent sa douleur s'accroître ; ses yeux se remplissent de larmes, il tire sa barbe blanche.

« Hélas ! ma sœur, ma chère enfant, tu t'informes de l'âme de mon âme et d'un corps mort ! Roland n'est plus!... Mais je saurai t'en faire un bon échange. Ecoute : veux-tu mon propre fils, Louis, la chair de ma chair ? »

Aide répond :

« Ce discours m'est étrange. A Dieu ne plaise, ni à ses anges, qu'après mon Roland je reste vive ! »

48 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

Et, en disant ces mots, elle tombe morte aux pieds de Charlemagne

Les populations de la montagne répètent encore aujourd'hui le chant d'Altabizcar, composé par les bardes Vascons pour perpétuer le souvenir de ce grand désastre de l'armée de Charles :

« Ils viennent, ils viennent, enfant !... Comptes-les bien !... » Un, deux, etc.. Mais les rochers, en tombant, écraseront les » troupes ! Le sang ruisselle, les débris de chair palpitent... » Oh ! combien d'os broj^és ! Quelle mer de sang !...

» Ils fuient ! ils fuient !... est donc la haie de lances ?... » Combien sont-ils? Enfant, comptes-les bien !.... Un, deux... » C'est fini !.... La nuit, les aigles viendront manger ces chairs 1) écrasées, et tous ces os blanchiront dans l'éternité !... »

On sait que le duc de Gascogne fut pendu par ordre de Charlemagne. Louis le Débonnaire, ayant vaincu les Gascons, conféra la dignité de duc à Totilus (ou Totilo), un de ses parents. C'est sous ce prince que les Normands firent irruption dans la Gascogne. Vaincu dans deux combats, le duc les défit enfin et les chassa de la province. Les Normands ne tardèrent pas à se venger de leur défaite dans une sanglante journée périt Seguin, duc des Gascons.

Guillaume, son successeur, eut à peu près le même sort.

A la mort d'Arnaud, Sanchès I" Mitana, exilé par Louis le Débonnaire, fut rappelé par les Gascons qui se soumirent à lui. Sanchès, qui fut le fléau des Sarrasins, eut pour successeur son fils du même nom. Celui-ci fut le oère de Garcie Sanchès le Courbe, qui réunit le comté de Bordeaux à son duché vers l'an 904. Sanchès Guillaume, arrière-petit-fils de Sanchès le Courbe, mourut en 1032. vSa fille, Alauza, fut mère de Béren- ger, qui obtint le duché de Gascogne en 1032 et mourut sans postérité en 1039.

Cette même année, Eudes, duc de Guyenne, succéda du chef de sa mère au duché de Gascogne et mourut en 1069.

Alors, Bernard, comte d'Armagnac, s'empara de la pro- vince. Mais Guillaume-Geffroy, duc de Guyenne, déclara la guerre à Bernard, le vainquit et le déposséda du duché.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 4,9

C'est ainsi que la Gascogne se trouva réunie à la Guyenne, "dont elle a suivi depuis les destinées.

Nous ferons allusion, quand le moment sera venu, au caractère et aux mœurs de ce pays merveilleux, en choisissant quelques anecdotes du cru, ce qui n'est, à notre avis, jamais une faute pour amuser l'aridité de nos descriptions.

Encore un mot, cependant, sur le comté de Bigorre, com- pris dans la ci-devant province de Gascogne et qui forme aujourd'hui le département des Hautes- Pyrénées.

Bigorre (Bigeritamus), ancien pays de France, ayant titre de comté et Tarbes pour capitale, fut possédé successivement par les Romains et les Wisigoths.

Ce pays devint, sous les rois de la première race, une dépendance de l'Aquitaine. Après la mort de Charlemagne, il fut administré par des seigneurs particuliers.

Raymond, comte de Bigorre, qui vivait vers le milieu du X^ siècle, eut pour successeurs ses deux fils, Louis et Arnaud.

Garcias- Arnaud, fils d'Arnaud, fut père de Bertrand- Roger, lequel laissa pour successeur au comté Bertrand II, dont la fille unique, Béatrix, épousa en 1078 Centule, comte de Béarn.

Conquis par le Prince Xoir, repris par Charles V, il fut donné, en 1425, par le roi Charles VIII à Jean, comte de Foix, d'où il a passé dans la maison d'Albret, pour être définitive- ment réuni à la couronne de Henri IV.

"W^^^^Z^W^

l(j:^gj^^M^ ^gjr^^gi^^-^.. ^

1^^^. .(L..(^

&^^~^{^& m^i^M ^m^'K<^

LES PYRENEES

CHAPITRE III

Aspect Général des Pyrénées. Un Orage dans la Montagne. Crépuscule.

JN des coins les plus remarquables de la France est sans contredit les Pyrénées. En effet, trouver de plus magnifiques horizons, des vallées plus gaies et plus verdoyantes, des ruisseaux plus limpides, des torrents plus impétueux, une végé- tation plus luxuriante, des gorges plus sauvages, une lumière plus pure, des nuits plus belles, des Himalayas plus grandioses et plus éblouissants, et des effets de soleil plus magiques ?

Nous n'aurons pas la folle outrecuidance de vouloir entre- prendre de décrire ici les vues nombreuses et pittoresques des sites pyrénéens ; il nous faudrait pour cela un cadre d'une autre envergure.

Du côté des Basses-Pyrénées méridionales, dominées oar les ramifications septentrionales des Pyrénées, s'étendent de belles et fertiles vallées, dont la plus belle et la plus renommée est celle d'Ossau, qui ne mesure oas moins de seize kilomètres de développement. Elle commence au pied du pic d'Ossau (2,885 mètres d'altitude) et va se perdre dans la belle plaine d'Oloron. Les autres points culminants principaux sont : le pic Saoubisie (2,609 m.), le pic du Ger (2,487 m.), le pic d'Isabe (2,475 ï^-) st le pic d'Aspe (2,500 m.)

Ces montagnes sont sillonnées par de nombreux cours- d'eaux qui arrosent le département. Ces rivières sont : l'Adour, la Nive, la Bidassoa, l'Ardanabia, l'Aray et la Sery. Le gave

LES PYRKNÉES ET LA CALIFORNIE

51 -

de Pau, qui reçoit, avant de se réunir à l'Adour, le gave d'Oloron ; le gave de Mauléon, etc.

On \ trouve en outre beaucoup de lacs, parmi lesquels nous mentionnerons ceux d'Artouste, de Peyreget, d'Ayous et de Bersou. Les sources minérales y abondent ; les plus connues sont celles des Eaux-Bonnes, des Eaux-Chaudes, de Comde, de Salies, d'Accous, de Garrès, d'Escot, de Barrinque, de Monein, dc^Sr^rrance, de \'illefranque et de Saint-Christ^.

Du côté des Hautes-Pyrénées, on ne peut s'imaginer un spectacle plus étrange, plus merveilleux et plus pittoresque à

Le Pic du INIidi d'Ossaii.

la fois. En effet, une plume d'artiste exercé pourrait seule faire la description de cette vue inoubliable et enchanteresse, surtout à l'époque de la végétation. Il est absolument impossible de rien voir de plus beau.

Les hauts sommets, pareils à des calottes d'argent, scintil- lent sous le soleil vainqueur de mai. La hauteur prodigieuse de ces montagnes forme des cimes éternellement neigeuses, domi- nant avec une majesté sans égale la magnifique plaine de Tarbes. Puis, apparaît une innombrable quantité de vallées, toutes plus riantes, plus fertiles et plus luxuriantes les unes que les autres. Les principales sont celles de Lourdes, d'Argelès, de

5^ L'ES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Pierrefitte, de Luz, de Gavarnie, de Caviterets, de Campan, de la Neste, d'Arreau, d'Aure, etc.

Les sommets les plus élevés que présentent les Hautes- Pyrénées sont: la Maladetta (3,298 mètres d'altitude), le Cylindre du Marboré (3,.332 m.), le pic du Midi de Bigorre (2,923 m,), la Brèche Roland (2,943 i^-)' ^^ pic d'Aiguillon (2,61 r m.), le pic d'Arbizon (2,885 iii.) l'Ayré (2,469' m.) le pic de Clarabide (2,873 m.), etc.

Qui n'a été émerveillé de la vaste plaine de Bagnères-de- Bigorre ? Elle ne peut être comparée qu'à un parc immense, dé- plus de cent kilomètres de superficie, qui s'allonge en ovale du côté d'une magnifique chaîne de monts détachés des hautes montagnes et qui sont couverts d'un riant et splendide feuillage dans lequel gazouillent d'innombrables légions d'oiseaux.

Quand on a habité ce pays durant une saison orageuse, on frémit malgré soi au seul souvenir des cataclysmes grandioses et épouvantables qui sévissent si souvent dans ces montagnes.

Après une journée torride, les nuages s'épaississent et passent rapidement du gris-de-plomb au noir-de-fumée ; l'at- mosphère devient étouffante, et l'on se sent vaguement attristé et énervé. A chaque instant, la nuée s'entr'ouvre, puis aussitôt l'air gémit et la terre tremble au bruit formidable d'une dé- charge de coups de tonnerre répercutée et prolongée indéfini- ment par des échos mille fois répétés. Les éclairs se poursuivent avec une rapidité effrayante ; leur éclat éblouissant découvre par instants tout le paysage. Les lignes de cultures, les arbres, les gorges sont illuminés comme par quelque gigantesque feu d'artifice. Les sommets des montagnes flamboient et jettent des lueurs bleuâtres ; les pics déchiquetés se dressent subitement,

telle une armée de spectres

Les torrents, les rivières, les ruisseaux écument et appa- raissent dans une blancheur livide et couverts d'une mousse écumante. La foudre tombe en de brusques traînées d'un rouge trop vif et impossible à fixer, embrasant, consumant tout ce qu'elle touche- Les habitants, saisis d'épouvante, se signent, et fidèles à une coutume dont l'origine se perd dans la nuit des temps, se

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 53 --

■couvrent la tête de feuilles de laurier pour se préserver de la foudre.

Tout-à-coup, le vent s'engouffre dans les nuages, les chas- sant contre les montagnes qui les déchirent. Al'ors, un long jet de pluie, de grêle, de feu s'ouvre sur la terre, fauchant, abattant les récoltes, inondant les cimes, descendant le flanc des mon- tagnes, glissant comme un énorme serpent aux anneaux gris et boueux, et se précipite impétueusement dans le Gave et les autres cours d'eaux.

Après l'orage, les routes sont crevassées par des fondrières. Les arbres, retenus par leurs racines saignantes, pendent lamentablement ; des pans entiers de terre ont croulé, et les moindres torrents sont devenus des fleuves

Le danger le plus imminent est passé. L'homme des champs contemple attristé cette dévastation ; les animaux eux- mêmes ont eu peur : ils frissonnent encore.

Mais tout redevieîit calme ; le soleil radieux apparaîts faisant étinceler les diamants liquides restés accrochés à chaque feuille d'arbre, aux buissons odorants, aux humbles touffes d'herbe... En haut, c'est l'azur, intense, avivé, vibrant. Royal manteau des monts, il a repris son éclat bleu tendre aux rebords pourprés.

Admirons, ce même jour, un spectacle étrange et magique : les montagnes se cou\Tent graduellement d'une buée trans- parente, et, malgré tout, les cimes encapuchonnées de neige apparaissent encore ; puis, un manteau de gaze sombre s'étend sur les montagnes : c'est la nuit.

L'air bleuâtre, enfermé dans les gorges, s'épaissit et devient visible ; au fur et à mesure que le voile tombe, il emprisonne, pour ainsi dire, l'air et la lumière et les rend palpables.

L'œil pénètre avec volupté dans le blond réseau d'or qui enveloppe encore les croupes ; il en .sent la mollesse et la profondeur. Les arêtes saillantes s'adoucissent, les contours heurtés se fondent ; c'est le ciel qui descend et prête son voile immense pour couvrir la nudité des sauvages filles de la terre... Oh ! le beau rêve, la belle nuit qui fait dormir les Pyrénées ! . . .

y.

PAU

CHAPITRE IV

Historique de la Ville de Pau. ^ tRixciPAux JMo^T> MENTs. Biographies de ses Hommes Illustres.

^M^

VI de vous chers lecteurs, ne coimaît la jolie ville de Pau ? Berceau du roi de Navarre et de tant ^^' d'hommes illustres, génies de toute sorte qui l'ont si grandement glorifiée ! Cette remarquable cité, admirable pur «a situation, est bâtie à l'extrémité d'un plateau qui domine une large vallée, et dans le fond de laquelle le Gave dessine ses capricieux méan^ dres. Au Sud, on aoerçoit la sunerl^e chaîne des Pyrénées, dont les sommets gigantesques sont coiffés de tout temps d'une éblouissante calotte de neige.

Le château, vu de la plaine, est superbe d'harmonie et d'agrément II s'élève au confluent du Gave et du Hédas, sur un promontoire ; il est sénaré de la ville par une allée d'arbres majestueux et séculaires. Vu d'assez loin, il se détache seul dans le ciel bleu et affecte la forme d'un énorme triangle tronqué à la base tournée vers l'Kst; deux tourelles à clochetons s'a- vancent de front vers l'Ouest ; le corps oblong suit, et deux gros.ses tours en briques ferment la marche avec leurs esplanades et leurs créneaux. Trois ponts le relient à la ville et au Parc. L'un, traversant le fossé qui aboutit à la porte principale, date de Louis XIII.

Des six tours, le donjon, ou «. tour de Gaston Phœbus », construite en briques, est la plus importante à tous les points de

S6 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

vue. Elle possède des oubliettes qui furent la dernière demeure de beaucoup de seigneurs et d'autres personnalités gênantes de cette époque.

Au sud du château, on remarque une septième tour qui servait, dit-on, à la fabrication des m.onnaies béarnaises. Nous devonS' nous borner à cette légère esquisse de l'édifice, qui pos- sède une quantité de tourelles, de terrasses, d'arcades etc.

Pénétrons maintenant dans les appartements des anciens rois de Navarre. Nous entrons dans une grande chambre ornée de tapisseries des Gobelins et de meubles de luxe d'une grande valeur historique. Elle est suivie de plusieurs chambres richement décorées, dont l'une'possède une superbe glace de Saint-Gobain, d'un seul morceau.

Au deuxième étage, nous pouvons admirer, en passant, la chambre de la reine Jeanne. Votre conducteur prend sou- dain un recueillement que vous ne lui connaissez pas, tant le souvenir de la mère de Henri IV est encore respecté en Béarn. C'est dans cette chambre que la reine mit au monde le petit Béarnais devenu si grand.

« Cette princesse dit d'Aubigné, n'avait de la femme que » le sexe, Tâme entière aux choses viriles, l'esprit aux grandes » et nobles affaires, le cœur invincible aux adversités. »

Dans cette chambre, on aperçoit son lit en bois sculpté, qui porte encore visible le millésime de 1561, puis son fauteuil et un magnifique ameublement, de tonalité sombre, mais d'un style tourmenté et magnifique, reportant d'abord l'esprit vers cet âge de force et d'effort, d'audace inventive, de plaisir effréné, de labeur opiniâtre, de sensualité et d'héroïsme.

Cette femme supérieure, si grande et si noble, malgré son entêtement inouï et sa ténacité inébranlable dans la religion protestante, est peut-être encore la patronne la plus remarquable de la ville de Pau.

Voici maintenant la chambre de Henri IV, l'on aperçoit, au milieu d'un trophée d'armes et de drapeaux décorés des fleurs de lis de la maison de Bourbon, la carapace de tortue qui servit de berceau au jeune roi de Navarre, qui devait glorieu- sement devenir celui de la France. On y remarque aussi

J E A N N K I) " A L B R E T

Mère de Henri IV.

58 LKS PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

de nombreux jouets, des armes et des livres ayant appartenu à « Henriot » enfant.

Nous voici dans les rues de la ville. Il est dix heures du matin. On respire franchement la gaieté environnante. La chaussée est un peu rugueuse, avec ses galets roulés et ses trottoirs en petits cailloux aigus qui meurtrissent plus les souliers fins que la plante des pieds des Palois pauvres qui mar- chent pour la plupart sans souliers, voire même sans sabots.

On rencontre de temps à autre des charriots et des attelages rustiques ; bœufs couverts d'une grande pièce de drap pendante, coiffés d'un réseau de filoselle et couronnés de fougère. Le pa\-san qui les conduit est généralement un gars aux jarrets solides, aux mains larges, aux doigts noueux. Sa phj^sionomie, un peu lasse et mélancolique, a cependant beaucoup d'expres- sion ; ses grands yeux de velours noir brillent comme des diamants bruns sous un front halé par le soleil du Midi ; son costume se compose d'une veste brune ou d'une blouse qui a perdu sa couleur primitive ; sa culotte rapiécée et ses pieds nus ou en sabots ajoutent à son cachet rustique. Il est suivi de petits garçons cheminant pieds nus, très éveillés et souvent très déguenillés, dont le vieux béret de velours ou de drap retombe comme une calotte de champignon plissé sur une chevelure très brune.

On rencontre en outre de nombreux citadins qui ressem- blent à Henri IV, sinon de physionomie, du moins de maintien et de caractère; l'allure est dégagée, les manières aisées et polies, l'idiome délicieusement caressant. On remarque égale- ment de ces vieux pâtres en houppelande rousse en poil feutré, le front traversé, non de rides, mais de sillons bronzés et brûlés par le soleil, le regard fuyant et farouche, dignes d'avoir vécu au temps de Charlemagne. Très certainement, ceux qui défirent Roland, le superbe et brave paladin, n'avaient pas une phy- sionomie plus sauvage.

Choisissez parmi eux : les vrais compatriotes du bon roi Henri sont là.

Quant aux Béarnaises en chapeau de gaze, aux têtes de madones brunes, aux formes développées et fermes, aux veu.K

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 59

profonds et expressifs, aux cheveux bruns légèrement frisés sur le front et la nuque, prenant des éclats roux exposés au soleil, il y en a tant et tant que les blondes, même médiocres, finissent par avoir du succès.

Nous ferons, dans un autre chapitre, une description du costume national béarnais, si curieusement typique.

L'esplanade de Pau est une des plus belles du monde ; vaste et plantée d'arbres, elle domine un panorama magnifique. Au centre de la place a été érigée, le 27 août 1843, en présence du duc de Montpensier, la statue de Henri IV, en marbre blanc de Gabbas, œuvre du sculpteur Raggi. Henri IV est représenté debout, la main droite étendue et la gauche appuyée sur la garde de son épée ; l'armure est d'un fini parfait. Sur le piédestal est gravée une inscription en latin et en patois.

Il est six heures du matin. Ce premier aspect méridional, au sortir des brumes, est admirable ; une nappe de lumière blanche s'étale d'un bout de l'horizon à l'autre sans rencontrer un seul nuage. L'air n'est qu'une fête. Les yeux éblouis se ferment sous cette clarté qui inonde et qui ruisselle, réverbérée par le dôme ardent du ciel. Les Pyrénées n'apparaissent que comme des bordures peintes gracieusement sur les bords de la voûte céleste. C'est d'une beauté grande et sévère, couvrant un pavsage magique, au milieu de la vie déjà active de la rue. Citons l'église Saint-Jacques, des temples protestants, le Palais de Justice, la Halle, la Mairie, la Bibliothèque riche de vingt-deux mille volumes, le Lycée, la Caserne, une des plus vastes de France, le Couvent des Carmélites, le Théâtre, qui peut contenir douze cents spectateurs et a été construit en 1862 sur l'emplacement occupé jadis par les arcades ruinées de l'église Saint- Louis ; l'Hôtel Gassion, vieil et curieux édifice, ancienne propriété du maréchal de Gassion.

L'étymologie du mot « Pau » du latin 'Palum, qui signifie pal ou pieu, s'attache à l'origine même de la ville. Vers le X'= siècle, un vicomte de Béarn, frappé de l'admirable paysage, résolut d'y Hxire bâtir un château et en marqua l'em- placement futur à l'aide de pieux. Jusqu'alors, ces seigneurs

LKS PYKKNKKS ET LA CALIFORNIE 6l

avaient eu leur résidence à Morlaas. Des habitations ne tar- dèrent pas à se construire autour du manoir féodal et la ville fut fondée.

Pau se rattache à l'histoire même du Béarn et en partagea les phases les plus diverses. Gaston XI, contemporain de Louis XI, le même qui détint prisonnière Blanche de Castille et l'empoisonna, fut le premier qui s'établit à Pau. Il fît du château un véritable palais royal. Il créa le parc, si admiré de nos jours. Il fit de Pau une ville, élargit son enceinte, restaura ses remparts. « Dès ce jour, dit un historiographe, la prospérité )) de Pau ne fit que s'accroître. En 1527, nous voyons la reine y) de Navarre, auteur des célèbres Contes, y fixer sa résidence )) et contribuer à de nouveaux embellissements. P'ile appela des )) artistes italiens pour décorer les vastes appartements situés au » Midi. Le grand escalier que l'on admire encore et tout l'édi- » fice furent remaniés selon le style Renaissance. Elle créa, près » de sa royale demeure, les plus beaux jardinages qui fussent » alors en Europe. Sa cour fut particulièrement brillante ; elle » réunissait, mêlés aux seigneurs les plus illustres de l'époque, » des savants, des artistes et des poètes. Calvin, Roussel, » Lefèvre d'Êtaples, puis Clément Marot, y trouvèrent asile » et protection. »

Outre Henri IV, Pau a vu naître le maréchal de Gassion, dont nous allons rapidement esquisser la biographie :

Jean de Gassion, à Pau le 20 aovit 1609, est mort à l'âge de trente-huit ans. Il n'arriva à ce grade que par son mérite. Il s'enfuit de la maison paternelle avec trente sols dans sa poche, mit ses souliers au bout d'un bâton pour ne pas les user, et, rencontrant un régiment de cavalerie, s'y engagea comme volontaire. Il servit dans l'armée calvi- ni.ste de M. de Rohan et sut se faire remarquer de son général par une fine repartie. Blessé dans un combat livré au pont de Combetery, après avoir tué ou ble.ssé une vingtaine d'adversaires, il ne voulut pas rester en arrière.

Pourrez-vous nous suivre? lui demanda le duc de Rohan.

Qui m'en empêchera? répondit-il. Vous n'allez pas si vite dans vos retraites.

Le mot plut au duo qui attacha le jeune cavalier à sa personne. Après la paix d'Alais (1629). Jean de Gassion continua ses études mili- taires sous le plus grand capitaine du temps, Gustave-Adolphe, dont il

62 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

rechercha le service. Il se rendit au camp du monarque suédois, qui opérait alors dans la Haute-Saxe, avec une compagnie de volontaires qu'il présenta au roi en ces termes :

Sire, je viens avec des Béarnais que le bruit de votre nom a fait sortir des Pyrénées et conduit ici pour vous offrir leurs services. Quand il plaira à Votre Majesté de nous mettre à l'épreuve, elle verra ce que nous savons faire.

Quelques jours après, cette poignée d'hommes, ayant Gassion à sa tête, se couvrit de gloire à la bataille de Leipzig (1631). Ces soldats char- gèrent trois fois et attirèrent sur eux tous les regards. Les anecdotes et les faits de bravoure sont tellement nombreux qu'il nous est impossible de les énumérer ici. Sous Louis XUI, au siège de Dôle et de Hesdin, il fut désigné pour le grade de maréchal de camp. Plus tard, le grand Coudé le félicita devant toute l'armée, l'embrassa et obtint pour lui le grade de maréchal de France. Une des plus grandes gloires militaires était réser- vée à ce jeune maréchal, quand la mort, mort héroïque, mort de soldat, vint briser cette carrière brillante. Au siège de Lens (1647), voulant enlever ses troupes à l'attaque d'une palissade, il se mit à leur tête, et, sous le feu de l'ennemi, il déracinait un pieu de sa propre main, pour donner l'exemple, lorsqu'il fut frappé d'une balle à la tête. Il continua néanmoins à conduire l'attaque, mais il tomba en route et mourut quel- ques jours après. Son aumônier, DuPRAT, originaire du Béarn, a laissé un Eloge de Gassion fort rare maintenant et très curieux.

La maison de Bernadotte, devenu roi de Suède sous le nom de Charles-Jean XIV, existe encore à Pau, il est le 26 janvier 1764, rue du Tran 61. Il était fils d'un avocat et s'engagea à dix-sept ans dans le régiment de Royal-Marine. Colonel en 17S9, il fut nommé géné- ral l'année suivante sur la recommandation de Kléber et se distingua beaucoup à la mémorable bataille de Fleurus. Il avait deviné les vues ambitieuses de Bonaparte et ne lui cachait pas son antipathie. Il passa cependant à l'armée d'Italie, il seconda merveilleusement le futur empereur. Il épousa plus tard Mlle de Clary, cousine par alliance de Bonaparte. Plus tard, cet enfant de la balle, ce général jacobin fut créé prince de Ponte-Corvo, mais le dissentiment continua cependant d'exister au fond de ses relations avec le maître qui s'était imposé à la France. Il n'en contribua pas moins à la gloire de celui-ci soit en gagnant plusieurs glorieuses batailles, soit par son génie et son courage.

En rSio, les États de Suède, sentant pour leur pays le besoin d'un guerrier de sa trempe et un administrateur de sa valeur, le proclamèrent prince royal de Suède et héritier présomptif de la couronne. Entre temps, il gagna plusieurs batailles pour le compte de Charles XIII. On a prétendu alors qu'il nourrissait l'espérance secrète d'être choisi pour remplacer Napoléon sur le trâne impérial. .\ la mort de Charles XIII,

LES PYRÎÎNKES ET LA CALIFORNIE 63

il fut proclamé roi de Suède et de Norwège et prit le nom de Charles- Jean XIV. Son règne fut une ère de prospérité et de bonheur pour les Suédois, qui lui témoignèrent autant de gratitude que d'admiration, et il transmit à son fils Oscar le royaume complètement relevé d'une déca- dence qui semblait irrémédiable. Comme on voit, il avait fait son chemin, ce d'Artagnan, coureur héroïque d'aventures profitables. Comme Henri IV, il trouvait qu'un royaume vaut bien une messe ; il fit lui aussi le " saut périlleux ", mais en sens inverse, et laissa sa religion comme une vieille casaque. Un manteau royal et tout neuf valait mieux, et le roi Gascon en était parfaitement digne.

Le général Bourbaki est à Pau le 22 avril 1816. Il fut un des généraux les plus braves et qui travaillèrent le plus à notre réorgani.sation militaire. Pendant la guerre de 1870, étant à Besançon et se voyant cerné de toutes parts, craignant d'êtr>L accusé de trahison, il préféra mourir en soldat et voulut se faire sauter la cervelle, mais la balle s'aplatit sur le crâne de ce rude soldat, qui devait encore vivre pour préparer notre future revanche. Hélas ! Bourbaki est mort sans pou- voir conduire les armées françaises réorganisées à la victoire, mais avec la ferme conviction d'avoir toujours fait son devoir. Ses admirateurs lui préparent une magnifique statue qui sera érigée à Paris.

Nous ne résistons pas au plaisir de citer cette anecdote. Lors de la campagne d'Italie, on lui amena un espion, et après l'interrogatoire il lui dit:

Aiii.si, c'est bien entendu, tu es un espion autrichien ?

Oui, signor.

Tu devais aller rapporter à nos ennemis tout ce que tu avais vu et entendu au camp français?

Oui, signor.

Et tu t'imagines que cette conduite-là est honorable ?

Oui, signor. Et je veux bien maintenant vous servir d'espion à vous.

Ah ! Eh bien, drôle, file ! et va dire à tes Autrichiens qu'il y a deux heures (jue je les attends, et que ça m'em....bcte !

L'Ame de Cambronne dut .se réjouir.

Le château de Pau a eu son prisonnier célèbre en 1847 : Abd-el- Kader, intrépide chef arabe, sur le territoire des Hachems, aux envi- rons de Mascara, en 1807, et (jui combattit vaillamment contre le géné- ral Trézel, le maréchal Clauzel, le général Bugeaud, le duc d'Orléans avec le maréchal Valée, souvent vaincu mais toujours infatigable et jamais abattu. Finalement, la victoire d'Isly, remportée par le maréchal Bugeaud, affaiblit sérieusement l'énergie de son caractère, mais il lutta

-64 LES PVRf^NÉES KT LA CALIFORNIE

encore, soit contre le Maroc, soit contre la France. Mais après avoir vu périr dans une dernière affaire ses plus dévoués partisans, il se rendit au général de Lamoricière, qui le fit embarquer pour la France avec toute sa famille.

Charles-Thomas Floquet, fameux politicien de la France contem- poraine, naquit à Saint-Jean-de-Luz ou Saint-Jean-Pied-de-Port le 5 octobre 1828. Floquet était pour la politique et ne vécut que par elle ; mais, à la différence de ceux qui n'y cherchent qu'un moyen d'aug- menter leur fortune personnelle, elle n'a jamais été pour lui que le besoin impérieux d'une nature ardente et fière, uniquement dominée par la haine du despotisme et l'amour de la liberté.

En 1868, un incident sur lequel on a beaucoup épilogue attira sur lui l'attention publique. Au cours de la visite que le tsar Alexandre II fit à Paris, il se serait écrié sur le passage du souverain : " Vive la Pologne, monsieur! " Ce qui n'empêcha nullement l'habile Béarnais de devenir Président de la Chambre des Députés, oii il fit preuve de qualités remarquables. La finesse habile qu'il déploya dans ces hautes fonctions, ses traits d'esprit, ses conseils, le soin qu'il apporta à faire respecter au-dessus des partis la forme du gouvernementappelèrent sur lui l'attention de toute la France en même temps que les sympathies des membres des deux Chambres. On a épuisé tous les vocables pour vanter l'art de présider qu'il possédait au plus haut degré. Sa vigueur^ sa haute et intelligente physionomie, son autorité décorative, sa belle humeur et sa ténacité béarnaise faisaient de lui le Président type. On lui a succédé, on ne l'a pas remplacé.

On sait que Floquet fut un adversaire résolu du boulangisme. On se rappelle le duel demeuré fameux qu'il eut à Neuilly avec le général. Le combat eut lieu à dix heures du matin. A la première reprise, M. Floquet fut légèrement atteint au-dessous du mollet gauche et M. Boulanger à l'index de la main droite. Il était cependant d'un calme imperturbable, ayant devant lui un adversaire vraiment dangereux. A la deuxième reprise, M. Floquet, touché à la main gauche et au-dessus du sein droit, blessa grièvement le général dans la région du cou, et il s'en fallut de peu que celui-ci ne succombât.

Le même jour, à trois heures de l'après-midi, le Président du Conseil Floquet arrivait Place du Carrousel, allait être inaugurée la statue de Gambetta, montait sur l'estrade officielle aux applaudisse- ments frénétiques d'une foule en délire et prononçait sans aucune émotion apparente un discours remarquable. Le sang-froid extraordi- naire de M. Floquet durant cette journée, l'issue du duel et ce simple fait d'un avocat perçant tranquillement la gorge d'un général ami de la réclame ne contribuèrent pas peu à accroître sa popularité déjà si bien

LES PYRÉNÉES ET I,A CALIFORNIE ~ 65

établie par son audacieuse et spirituelle éloquence. Il avait la voix chaude et vibrante, semait ses discours de métaphores hardies, d'imajjes vivantes faites pour frapper le peuple et impressionner les assemblées.

Une congestion pulmonaire l'emporta le 18 janvier 1896, à l'âge de soixante-huit ans. Il fut, ajoutons-le, admirablement secondé par l'affec- tion intelligente et dévouée d'une compagne qui porte en elle tout ce qu'il y a de fier, de vaillant, de Français dans l'âme d'une Alsacienne.

Détail curieux : le Béarnais, par principe, avait toujours refusé toute décoration et il n'était même pas chevalier de la Légion d'Honneur.

Jean-Isidore Hakispe, maréchal de France, à Saint-Étienne-de- Baigory (Basses-Pyrénées). Il partit comme volontaire en 1792, fit avec bravoure les campagnes de la Révolution et de l'Empire, fut blessé à léna et n'en continua pas moins à se battre comme un lion ; se distingua particulièrement durant la guerre d'Espagne, aux sièges de Saragosse, (le Lérida et de Tarragone ; aux batailles deTuleda, de Sagonte, d'Yecla il fit six mille prisonniers (1813), battit avec une petite armée les Anglo-Portugais à Saint-Jean-Pied-de-Port, eut la moitié d'un pied emportée par un boulet à la bataille de Toulouse et fut fait prisonnier.

Elu député en 1831, pair de France en 1835, commandant la 2ome division militaire de Bayonne en 1840, il reçut le bâton de maréchal le 1 1 décembre 1851.

Nous citons avec plaisir le distingué graveur E. G.'VUJE.^n, à Pau en 1850 et classé au rang des plus habiles graveurs à l'eau forte de l'école contemporaine.

P. H. Lamazou, prélat d'Accous, mérite également une mention spéciale, ainsi que le général Ch -.^lex. Fay, à Saint-Jean-Pied-de- Port le 23 septembre 1827.

Il nous est impossible de faire figurer ici les nombreuses sommités originaires de Pau ou du département. Mentionnons encore Félix PÉCAUT, écrivain et savant pédagogue, à Salis en 1828, officier de la Légion d'Honneur ; le fameux magistrat et homme de lettres Gustave B.\.SCLH DE LagrEzk, à Pau en 1811, ainsi que Marcel Barthe, avocat et homme politique, également à Pau en 1813, élu député contre son concurrent légitirni.ste, M. de Luppé.

Citons, pour terminer, le fameux missionnaire Armand David, à Espelette en 1824. Élève du séminaire de Pau, il fut professeur au collège de Savone, puis fut envoyé à Pékin pour y organiser un collège français. Il écrivit de nombreux ouvrages très curieux sur les mœurs chinoises.

66 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

RAYONNE

jAYONNE offre un aspect des plus pittoresques, sur- tout à cause de ses constructions dans le style espa- gnol ; c'est ce qui a fait dire à nos compatriotes, que nous consultons sur l'aspect de la Ville, qu'elle constituait notre ville espagnole du midi.

Située à peu de distance de l'Océan et sur deux rivières, c'est une des villes les plus agréables, les plus vivantes et les plus gaies de France. L'originalité de ses constructions et de ses arcades qui ornent presque toutes les grandes rues de la ville ; celle des coutumes, du langage et de l'élément disparate de ses habitants, lui donnent un cachet particulièrement artis- tique.

Basques, Béarnais, Espagnols, Gascons s'y confondent et parlent chacun leur langue maternelle. Le grand Baronne, qui se développe sur la rive gauche de la Nive, renferme le vieux château ; le petit Bayonne s'étend sur la rive droite et la rive gauche de l'Adour, et contient le château neuf, flanqué de qua- tre tours ; Saint-Esprit, le troisième quartier a été détaché du département des Landes et annexé à Baronne. Au haut de ce quartier se dresse la citadelle qui commande la ville et le port. On entre dans la ville par quatre portes ; les travaux de dé- fense ont été démolis depuis longtemps, mais n'enlèvent rien à la beauté du panorama.

La grande rue, fort jolie, est le rendez-vous de la haute société bayonnaise. C'est que sont situés les magasins les plus importants de la ville. La place Gramm.ont lui fait suite, regardant d'un côté la Nive et de l'autre l'Adour et le poit. C'est, en somme, le vrai centre du commerce et des plaisirs de la ville.

On remarque aussi la Cathédrale, l'église Saint-André, le vieux château célèbre entre tous qui fut témoin du paiement de la rançon de François !'='■ en 1525. Le nouveau château ne l'est pas moins ; construit par la reine douairière d'Espagne, Marie-

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

67-

Anne de Neubourg ; le roi d'Espagne, Charles IV, y abdiqua en faveur de Napoléon I". L'arsenal, l'hôpital militaire, le théâtre et les ponts jetés sur l' Adour et la Nive sont également dignes de mention.

Non loin de Bayonne, près de l'Océan, à Anglet, au milieu des dunes, se trouve le « Refuge » institué pour les filles repenties. C'est grâce à cette généreuse et utile institution que oij naguère on ne voyait qu'une lande aride et stérile, on peut admirer aujourd'hui des fleurs, des fruits, des légumes, des céréales de toutes sortes qui couvrent le sable.

\'uL- de Hayonuc en 1870.

C'est à Bayonne, en outre, qu'eut lieu la fameuse entrevue du duc d'Albe, de Catherine de Médicis et de Charles IX, roi de France, dans laquelle fut préméditée la Saint-Barthélémy. On sait que le vicomte d'Orthez, qui commandait la ville, refusa d'accomplir le carnage ordonné par la cour.

C'est aussi à Bayonne, en 1523, que fut inventée la « baïonnette », arme terrible dans la main du l'Vançais et avec laquelle Napoléon terrifia le monde.

En 18 15, les Espagnols, au nombre d'environ quinze mille, essavèrent une démonstration sur cette ville dégarnie de trou-

68 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

pes, mais l'attitude ferme et courageuse de la population fit reculer l'ennemi et Baj^onne resta vierge de toute souillure. Sa devise est JVunquam folluta (Jamais souillée).

On parle à Bayonne le français, l'espagnol, le gascon, le béarnais et le basque. « L,e langage des Bayonnais, dit un )) auteur, est aussi singulier que leurs coutumes et leurs accou- » trements. Le costume des femmes surtout est très original et » ne manque pas d'un certain cachet. Les jeunes filles, les )) femmes mariées, les veuves et les personnes âgées portent y> chacune des habits différents. Bayonne, il est vrai, a subi de » nos jours beaucoup de transformations en tous genres. On » rencontre cependant encore beaucoup d'hommes en veste de » velours et en culottes courtes. Dans tout le pays, on entend » la langue musicale, âpre et sonore que l'on n'entend qu'au- » delà des monts. ))

Bayonne est une ville de souvenirs et d'extases, de plaisir et de bonheur. L'homme travaille, et la femme tout autant que l'homme. Tout est prospère dans ce magnifique pays. Les navires en file s'amarrent aux quais, les cordages dessinent leurs labj^rinthes sur le ciel et les matelots s'y pendent et y grimpent avec une agilité merveilleuse. Les tonneaux, les ballots, les pièces 'de bois sont entassés pêle-mêle sur les dalles ; c'est une vie mouvementée et bruyante.

Le ciel ressemble à une cascade de lapis-lazuli. Sa voûte se pose sur l'extrémité du fleuve qui avance calme, sous le miroitement de ses ondulations silencieuses, entre deux rangées de coteaux, jusqu'à une colline des bois de pins grisâtres descendent à sa rencontre, aussi gracieux et aussi imposants que lui. Cependant, la marée monte et les feuilles des chênes commencent à luire et à chuchoter sur la brise de mer.

Disons, pour terrniner, que la Bibliothèque municipale est considérée comme l'une des plus importantes du département, tant par les archives qu'elle renferme que par le nombre de ses ouvrages anciens et modernes.

La liste de célébrités bayonnaises est tellement longue qu'il nous est impossible de la donner complète à nos lecteurs, que nous prions toutefois de vouloir bien nous excuser.

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE) 69

K A tout seigneur tout honneur. ); Commençons par les deux Bayonnais les plus illustres de notre siècle :

Le cardinal Charles Martial-Allemand Lavigkkie naquit à Baronne le 31 octobre 1825. La mâle physionomie de l'illustre prélat est trop bien connue de tous les Français, sinon du monde entier pour qu il soit nécessaire d'en faire ici une description détaillée. On a dit avec raison que le cardinal réunissait en sa personne les traits essentiels de deux races. Rien n'est plus juste, et dans la vie si noblement remplie comme dans la haute physionomie du prélat on note, avec l'humeur aventureuse et le tempérament conservateur du Basque, la verve expan- sive et la ténacité pratique du Béarnais. Cet homme exemplaire avait pour lui tous les dons intellectuels et physiques: l'ampleur, l'autorité, la simplicité, la mâle bonhomie, le sourire dans la force, la finesse dans la décision. Un écrivain disait de lui dans un mémoire : " Ses robustes épaules et sa large poitrine remplissent sa soutane comme un harnais de guerre. C'est un homme et c'est presque un symbole".

Il importe de consigner ici la part prise par le cardinal à l'expan- sion de la France dans la Régence Tunisienne. Archevêque de Cartilage et primat d'Afrique, il prêcha, de la cathédrale qu'il fit bâtir non loin des premiers escarpements de l'Atlas, le respect de la France et seconda grandement les efforts de nos résidents. On sait qu'il avait été remarqué par Pie IX et que Léon XIII lui prodigua une véritable amitié. Dans les derniers temps de sa vie, il se rallia solennellement à la forme répu- blicaine de notre gouvernement.

Jean L.^^KKITTK n'est pas moins illustre, dans un autre genre, que le grand cardinal bayonnais. le 4 octobre 1767 d'une famille de pauvres charpentiers composée de dix enfants, il se distingua dès son plus jeune âge par ses aptitudes ordonnées et studieuses et devint le héros d'un incident, devenu légendaire depuis, qui fit de lui le plus grand financier et surtout l'économiste le plus populaire de notre pays. S'étant rendu à Paris, il alla solliciter un emploi à la maison de banque Perregaux. Il fut d'abord éconduit. Comme il traversait la cour de l'hôtel, il aperçut à terre une épingle qu'il s'empressa de ramasser. Perregaux, voyant le jeune homme piquer avec soin cette épingle au revers de son habit, fut frappé de cette preuve d'ordre et d'économie, le rappela et lui donna l'emploi qu'il lui avait refusé. Charmé de son intelligence, de son esprit net et sagace, de son caractère vif et franc et de probité toute bas- quaise, Perregaux se félicita bientôt de sa bonne aubaine et conçut pour son fidèle employé autant d'estime que d'affection.

Le chemin du jeune homme était tracé, glorieux, superbe, au bout duquel les honneurs et la gloire devaient lui établir une réputation imjzérissable. Ce nom de Jean Laffitte, synonyme de probité, de charité

yo LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

et de dévouement, est trop universellement connu pour qu'il nous soit nécessaire de nous étendre davantage sur la vie de cet homme de bien. Qu'il nous suffise de dire qu'il devint l'un des ministres les plus consi- dérés que la France ait jamais possédés.

Laffite venait de présider, comme doyen d'âge, à l'ouverture de la session de la Chambre des Députés et avait prononcé un discours resté inachevé par suite des clameurs de la Droite, lorsqu'il mourut subite- ment, le 24 mai 1844. Plus de trente mille personnes accompagnèrent le grand Français à sa dernière demeure. Homme d'un grand cœur, il n'avait cessé pendant toute sa vie de faire le bien et de rendre des services. Cent anecdotes très connues le prouvent surabondamment. Disons simplement qu'après sa mort on retrouva dans ses papiers plus de sept mille dossiers contenant des commencements de poursuites qu'il avait ordonné d'interrompre.

Le janséniste célèbre, l'abbé Jean DuvERGiER DE Hauranne naquit à Bayonne en 1561. Il appartenait à une des plus éminentes familles bayonnaises. Après avoir fait d'excellentes études classiques, ses parents l'envoyèrent suivre les cours de théologie à l'Université de Louvain (Belgique), alors fort en renom. Il devint chanoine de Notre- Dame de Bayonne. On lui doit de nombreux ouvrages religieux. Il était odieux au grand cardinal de Richelieu pour avoir conclu à la validité du mariage du duc d'Orléans avec la princesse de Lorraine, mariage que le cardinal voulait faire annuler. Voici comment le jugeait Richelieu, qui causait un jour de lui avec le Père Joseph, l'Éminence Grise d'alors :

Il est Basque par tempérament et il a les entrailles ardentes et chaudes des Béarnais. Cette ardeur excessive lui envoie à la tête des vapeurs dont se forment ses imaginations mélancoliques.

On sait qu'il fut emprisonné au donjon de Vincennes par ordre du cardinal, le 14 mars 1638, et n'en sortit qu'à la mort de ce dernier, en 1642 Avec sa liberté, sa réputation ne fit qu'augmenter, mais la mort vint le surprendre au milieu de ses triomphes. Il mourut à Paris le II octobre 1653 et fut inhumé eu grande pompe dans l'église Saint- Jacques-du-Haut-Pas, son épitaphe peut encore se lire non loin du maître-autel.

Citons encore le Père R.wiGNAN, célèbre prédicateur jésuite, à Bayonne en 1795, mort à Paris en 1858. C'est en prêchant le carême aux Tuileries qu'il se rendit si populaire.

Les soldats et marins ont surtout illustré Bayonne.

Jacques Bergeret, le fameux marin qui s'embarqua à l'âge de douze ans à bord d'un navire marchand et devint successivement officier, puis vice-amiral, pair de France et sénateur.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 7I

V.-B. DÉRRÉCAGAix, officier de marine et écrivain distingué, débuta également dans la carrière à l'âge de onze ans.

Le vice-amiral S.-V.-J. Lespks est à Bayonne le 13 mars 1828. Il devint préfet du premier arrondissement maritime de Cherbourg.

Citons encore : le peintre distingué Joseph-Léon Bonnat, qui naquit à Bayonne en 1833. Le conventionnel CasEnave, à Lambeye (Basses- Pyrénées) en 1763, mort en 1818. Le violoniste fameux J.-D. Alard, qui écrivit tant de fantaisies pour violon sur des motifs d'opéra, originaire de Bayonne il naquit en 1815. Jules Armingaud, lequel forma un quatuor qui prit une importance très con- sidérable dans les sociétés de musique de chambre, autre célèbre violo- niste bayonnais, le 3 mai 1820. Bayonne a également donné le jour à la célèbre cantatrice Madier de Montjau, dont le mari devint le chef-d'orchestre si populaire du théâtre de la Renaissance et plus tard du Grand Opéra de Paris. Le comte François Cabarrus (1752- 1816), à Bayonne, habile financier qui releva les finances de l'Espagne et fut nommé ministre. Sa fille devint la célèbre Mme Tallien. Pelletier (1761-1797), chimiste à Bayonne et dont les travaux scientifiques firent faire de grands progrès à la métallurgie et aux arts industriels. Enfin Paulus, le chanteur populaire aux succès retentis- sants, est à Bayonne sous le nom de jean-Paul Habaas Nous ne saurions oublier de mentionner encore l'économiste BastiaT, le 19 juin 1801, qui mourut à Rome le 24 décembre 1850; une rumeur pré- tendait qu'il avait été empoisonné.

O L O R O N

E premier document historique il soit parlé d'Oloron alors « Iluro » remonte vars le IIP siècle, mais ce n'est que vers le VIII'= siècle, époque la ville fut complètement détruite par

les Sarrasins et les Normands, que son histoire commence

d'après les annales.

72

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

En 1080, Catulle IV, vicomte de Béarn, la releva de ses ruines et la rendit prospère en accordant à ses habitants une charte d'affranchissement considérée comme la plus libérale du Moyen-Age. Nous ne saurions passer sous silence l'origine des (( Cagots y>, dont l'existence s'est maintenue jusqu'à la fin du XVII^ siècle.

Ces infortunés, dont le nom, qui a perdu aujourd'hui sa signification première, était synonyme de parias, formaient le rebut de toutes les classes de la société d'alors, qui les considérait comme gens « ladres et infectés. »

Toute conversation avec le reste du peuple leur était inter- dite, sous les peines les plus sévères. Ils habitaient les quartiers

Oloron, vu du Pont Sainte-Marie, en 1870.

isolés des villes et des villages ; dans les rues, il leur était défendu de marcher pieds-nus et ils devaient porter sur leurs habits une représentation de pattes d'oie ou de canard. Dans les églises, ils devaient se séparer du reste des fidèles et ils ne pou- vaient entrer ou sortir que par une porte spéciale auprès de laquelle était placé un bénitier pour eux seuls. Ouvriers, ils ne pouvaient porter que leurs outils. Enfin, pour faire comprendre combien ih étaient méprisés, il fallait le témoignage de sept i'entr'eux pDur valoir la déposition d'un autre homme.

Lii.-. i^YRENEKS iiT LA \-aUFU«NIE 73 —■

Ils furent, comme nous l'avons dit plus haut, les parias du Béarn. Ils descendaient, d'après les mémoires du temps, des anciens Goths et l'étymologie de leur nom provient du terme patois ((, Câs-de-Goths », qui signifie « Chiens de Goths ». Le village de Moumour {Mons MorcmuTn) a été longtemps consi- déré comme un nid infectieux de Cagots. Plus tard, les Cagots se recrutèrent aussi parmi les fugitifs Maures et dans la suite on voit les croisades leur fournir un nouveau contingent de misé- rables lépreux que les guerres saintes amenèrent en Europe.

Oloron-Sainte-Marie est construit sur le penchant d'une colline, au confîuent des gaves d'Aspe et d'Ossau. La vallée d'Aspe produisit dans son temps ce que l'antiquité se plaisait à entretenir : des « pleureurs et pleureuses à gages ». Beaucoup de nos contemporains se rappellent de la célèbre Marie Blanque, la plus remarquable « matrone élégiaque » de son temps. Les bibliothèques pullulent de ces chants funèbres appelés dans le langage du pays « aûrots » ou « aûroustades ». Il y en a pour tous les goûts, tristes, attendrissants, mélodramatiques et même comiques, tellement la fausse douleur y est reconnaissable.

\oici un quatrain qu'une femme de Bédous une mère vint psalmodier à Sainte- Marie, au siècle dernier, pendant que l'on descendait le cercueil de son fils dans la fosse béante :

Au cime ter i de Sen Cyral Bel arrousè jou qu'éy plan/ai.... N^éy pas roses ni flous, M es quey larmes y plous !

Belle et simple stance, mais presque intraduisible pour nous, simples mortels d'une autre époque. En voici la signification : '

Au cimetière de Saint-Cyrat, j'arrose ce que j'ai planté. Ce ne .sont ni des roses ni des fleurs, ce que je couvre de larmes et de pleurs !

Oloron-Sainte-Marie pos.sède dans sa cathédrale un monu- ment d'une grande valeur historique et qui repré.sente assez exactement l'histoire religieu.se du Béarn. Elle a subi succes.si- vement toutes les transformations depuis 1080, tout en gardant son style primitif. Signalons en outre les débris des anciens

74 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

remparts, les fraîches et verdoyantes promenades d'où, l'on découvre le plus beau des panoramas, des points de vue mer- veilleux qui s'arrêtent tour-à-tour sur les Pyrénées et sur les vallées des gaves d'Ossau, d'Aspe et d'Oloron. Mentionnons également le pont pittoresque jeté sur le gave d'Aspe.

Le pays donna le jour au fameux chanteur Pierre Jeliotte, qui naquit à Lasseube le 13 août 17 13. Contemporain de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau qui professaient pour lui une grande admiration, d'origine plébéienne, le petit Pierre débuta dans la carrière d'une façon toute romanesque. Un jour qu'il chantait à Toulouse, il s'était rendu pour se fortifier dans son art. un personnage de la cour de Louis XV l'entendit et voulut le présenter au roi lui-même. Louis XV, charmé de sa voix, le combla d'honneurs et de bienfaits et le proclama le phénix des chanteurs d'opéra. Il écrivit deux partitions qui firent grand bruit dans la capitale. Le roi était, comme l'on sait, fort capricieux, et le grand artiste ne tarda pas à encourir la disgrâce de son seigneur. Aussi vint-il retremper son courage au pied de ses chères montagnes. Il fit construire à Oloron, sur la place Mercadet. la belle maison située à l'angle de la route de Pau.

Oloron a également vu naître, en 1745, le savant natura- liste Pierre-Bernard Palassou. Notre contemporain, M. Barthou, récemment encore ministre de l'Intérieur, est originaire lui aussi de cette coquette petite ville.

La physionomie intelligente et sympathique de notre distingué com- patriote. Jean-Louis Barthoc, est trop universellement connue pour que nous entreprenions ici une longue biographie.

M. Barthou est sans contredit l'un des plus jeunes comme un des plus populaires ministres de la République Française. a Oloron-Ste- Marie le 25 août 1862, c'est le type qui caractérise le plus noblement la race béarnaise.

Sa physionomie mâle et douce à la fois, son aspect aisé et séduisant, sa voix chaude et communicative, l'aménité de ses manières, son intelli- gence supérieure et son ardent patriotisme en ont fait le favori du parti républicain, et lui ont gagné l'admiration de tous ses concitoyens.

Il fit de brillantes études à Paris il fut reçu docteur en droit et devint en outre secrétaire de la conférence des Avocats. Mais de nobles ambitions pour sa province le poussaient bientôt à retourner au Béarn, et il alla s'établir définitivement à Pau comme avocat.

uES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 75 "

Dès 1889 les électeurs républicains de sa ville natale l'envoyèrent siéger à la Chambre des Députés il ne tarda pas à se faire remarquer par un rare talent d'orateur et de dialecticien.

Le 20 mai 1S94, il reçut le portefeuille des Travaux Publics et donna sa démission de ministre le 13 janvier 1.S95, après l'arrêt du Conseil d'État en faveur des compagnies de chemins de fer dans la question des conventions avec l'État. Rapp^^lé au pouvoir le 29 avril 1896 dans le cabinet Méline, il s'y montra un ministre loyal et éclairé, un homme d'État véritablement supérieur.

On sait que c'est de son ministère que dérive la sûreté intérieure de la Nation Aussi sut-il être à la hauteur de sa mission lors des troubles criminels qui faillirent faire perdre un moment l'influence heureuse de la France à l'étranger et le respect de son drapeau à l'intérieur.

La haine enflammait tous les cœurs et les patriotes les plus paisibles avaient de la peine à contenir leurs véhémentes malédictions contre les menées honteuses et antipatriotiques des partisans du traître Dre5'fus. Grâce à l'attitude noble et ferme du Gouvernement, il ne reste à la nation française qu'un profond sentiment de dégoût à l'égard de ces misérables. Le blason impeccable de l'armée est pur de toute tare et les insulteurs à gages ravalent aujourd'hui la boue dont ils essayèrent de le flétrir.

La récente crise ministérielle motiva la démission de M. Bartliou et de ses collègues. M. Barthou vient de se rendre de nouveau à Pau.

En sortant de la ville par le faubourg Sainte-Marie, nou.s nous trouvons dans une plaine magnifique semée de monticules à travers lesquels serpente la route blanche bordée çà et d'arbres séculaires; à droite et à gauche, quelques maisons de ferme donnent un aspect rustique des plus charmants. On traverse en passant quelques petits hameaux blancs et gris de poussière, dont les maisons sont généralement entourées de jardins et les murs de lierre grimpant.

Nous quittons Oloron pour nous enfoncer dans la campagne qui est dominée au fond par des montagnes boisées, couvertes de broussailles inextricables, pelées par places, tachées de mousses et de bruyères, dont les rocs font saillie comme des os et dont les flancs s'avancent en bosselures grisâtres et se creu- sent en crevasses sombres. La plaine fertile et les prairies qui nous entourent s'enfoncent dans les anfractuosités comme en des criques ; elles s'essayent à gravir les premières croupes et s'arrêtent vaincues par la pierre stérile.

-76-

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

ORTHEZ

^>OICI une route qui nous conduit, paraît-il, à Orthez. La chaîne de montagnes ondule à gauche, bleuâtre et pareille à une longue assise de nuées. La riche vallée ressemble à une grande coupe toute regor- geante d'arbres fruitiers et de maïs. Des nuages blancs planent lentement en haut comme un troupeau de mou- tons. Orthez, comme toutes les petites villes du Midi, a une origine très obscure. Ce qui est certain, c'est qu'avant de deve- nir la capitale du Béarn, elle appartint à Gaston VII qui fit bâtir le fameux château de Moncade, théâtre de fêtes brillantes

Orthez en 1870.

et témoin de crimes monstrueux. Gaston Phœbus y poignarda Pierre de Béarn, gouverneur de Lourdes. Il y assassina égale- ment son propre fils. Blanche de Navarre y mourut empoi- sonnée. De l'ancienne histoire, il reste à peine quelques débris, des murs rainés et la haute tour p;ndent des lierres....

C'est surtout à Orthez que le protestantisme fit d'immenses progrès. Jeanne d'Albret y fonda une université calviniste.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 77

Terris s'en empara au nom du roi de France et tenta d'y réta- blir le culte catholique, mais Montgomery emporta la place d'assaut et y fit périr plus de trois mille fidèles. La peste acheva l'œuvre de destruction commencée par le général pro- testant et la ville ne se repeupla que très lentement. Notons en passant que le maréchal Soult fut battu près d'Orthez par l'armée anglo-espagnole forte de cinquante mille hommes, alors qu'il n'en avait que vingt mille à lui opposer.

A citer : l'église paroissiale construite au XIV^ siècle, le vieux pont d'Orthez et la tour de Moncade.

Aux environs de la ville, sur la route de Dax, s'élève une colonne érigée en l'honneur du général Foy.

Les habitants d'Orthez sont dociles, monotones et tran- quilles par excellence, tout en conservant un cachet spécial d'artistique et de pittoresque. Sauf les nouvelles qui arrivent maintenant de Paris, les légendes et les contes d'autrefois font encore la conversation des soirées d'hiver.

Rien de plus beau que la campagne d'Orthez. Quel air résigné dans ces vieux ormes ! Puis viennent les platanes lustrés agitant leurs belles feuilles régulières. Des liserons blancs, des campanules bleues pendent aux revers des fossés. L'œil embrasse et couvre la campagne, les bois, les plaines, les collines, dont l'âme végétale monte à la rencontre des rayons d'or du soleil

(( Avez- vous jamais goûté du mouton d'Orthez ? Donne- t-il des crampes à l'estomac ? » vous demandera invariablement tout bon Orthézien, fier à juste titre de la renommée bien méritée de ses élevages.

Orthez est le berceau d'une véritable famille de savants géographes et de médecins distingués.

Elisée Reclus, le fameux géographe, est à Sainte-Foy- la-Grande (Dordogne) le 15 mars 1830; ses frères, Onésime, géographe fort distingué aussi, et Paul, le médecin, sont nés à Orthez, l'un en 1847, l'autre en 1848.

Citons aussi le prédicateur séculier, excitant des transports d'enthousiasme dans les cercles catholi([ues, M. P.-Ch. Chesne- long, Orthézien lui aussi, qui devint maire de la ville, et, de

7^ LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

chaud républicain qu'il était, se transforma d'abord en bona- partiste enragé, puis devint légitimiste, septennaliste, n'étant au fond qu'un ardent clérical, adepte du Syllabus.

EAUX-CHAUDES

HISTOIRE d'Eaux-Chaudes fait songer aux dieux antiques, fils de la Grèce, image de leur patrie. Ce village est très pittoresquement situé, à trente- trois kilomètres d'Oloron, sur le gave d'Ossau, dans une gorge sauvage et très étroite. Pour l'ouvrir, on a fait sauter à la mine tout un pan de montagne. Le vent s'engouffre dans ce défilé. L'entaille est perpendiculaire, d'une couleur fer- rugineuse, et ce chemin étroit est tracé entre deux masses formi- dables qui donnent le frisson, l'appréhension d'être écrasé à chaque instant. Sur la muraille de roches qui fait face, des arbres tortueux se perchent en étages et leurs panaches clair- semés flottent bizarrement entre les saillies rougeâtres.

La route surplombe le Gave qui tournoie à cinq cents pieds plus bas. C'est lui qui a creusé cette prodigieuse rainure. Il s'y est repris des millions de fois et durant des siècles. Des étages de niches énormes et arrondies marquent l'abaissement continu d? son lit et les âges de son labeur.

Le jour paraît s'assombrir quand on entre dans cet étroit défilé. On ne voit plus le ciel que comme un mince ruban d'azur. Entre d^ux toars de granit gigantesques et cannelées s'allonge le petit village d'Eaix-Chiades. ,

Qai pourrait songer ici à un village ? Toute pensée est prise par les montagnes. La chaîne orientale, subitement tran- chée, descend à pic comme le mur d'une citadelle. Au sommet, à mille pieds de la route, des esplanades développent leurs forêts et leurs prairies, couronne verte et humide, d'où les cascades découlent par centaines. Elles serpentent éparpillées, floconneuses, comme des colliers de perles égrenés sur la brune

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

79

poitrine de la montagne, baignant les pieds des chênes lustrés, noyant les blocs de leurs tempêtes, puis viennent s'étendre dans

les longues courses le roc les endort

Nous devrions ici à nos lecteurs une description bien plus détaillée de ces sites d'un pittoresque merveilleux, mais notre cadre malheureusement trop restreint nous oblige à modérer notre admiration. Jetons donc rapidement un coup-d'œil sur le célèbre établissement thermal.

Vue des Eaux-Chaudes, en 1830.

Construit de 1848 à 1850, en marbre des Pyrénées, il forme sur la rive droite du Gave un carré de quatre-vingt-deux mètres de côté, flanqué de trois bâtiments semi-circulaires. Les sources émergent d'un terrain primitif. Elles sont au nombre de sept : « Le Clôt », « Esquirette Tempérée », « Esquirette Chaude », « Rey », « Baudot », « Larresecq » et « Minvielle ». Le Clôt, les deux Esquirettes et Minvielle débitent ensemble près de quatorze cents hectolitres d'eau minérale par jour.

ILES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

De la terrasse de l'établissement, on découvre une des plus belles vues sur la chaîne des Pyrénées. Une petite chapelle s'élève à côté, sur sa gauche. Les gens du pays peuvent prendre des bains durant toute l'année, tandis que la saison pour les étrangers ne commence que vers la fin du mois de mai et finit en octobre. Citons les principales promenades : la promenade Henri IV, plantée d'arbres, d'une largeur majestueuse et située au centre du village ; la promenade d'Argout, qui serpente sur le flanc de la montagne, de l'autre côté du Gave et traversée par le pont d'Enfer. Puis, d'un caprice soudain, tombe une cascade en grondant, en se tordant, engouffrée dans une pro- fonde caverne, prenant une joie indescriptible à se montrer à la lumière du jour, à 's'étendre paresseusement au soleil. Quelle gaieté étrange, quelle sérénité divine, quel éclat merveilleux que celui de cette longue écharpe glissant dans ce flot trans- parent qui rit et tournoie en murmurant ! Ni les yeux, ni les diamants n'ont cette clarté changeante, ces reflets glauques et parfois blancs comme l'argent. Ces frissons voluptueux et inquiets, toujours les mêmes et cependant toujours différents. Sans une puissance surhumaine, ces eaux auraient-elles pu, dans leur mollesse, user ces durs rochers, percer ces barrières inexpugnables ? Et par quelle vertu secrète savent-elles, inno- centes d'aspect, tantôt convulser et tuer celui qui en abuse, tantôt guérir l'infirme et le malade qui savent en user avec modération ?

Après avoir admiré ce spectacle, nous nous retrouvons à l'ancienne promenade horizontale qui ne mesure pas moins de deux kilomètres de longueur. Puis la nouvelle promenade du même nom et la promenade de Minvielle. Que de promenades, n'est-il pas vrai, pour un aussi petit village? Vous pourriez ajouter : « Et quelles changeantes et agréables promenades ! »

Les buts d'excursions sont fort nombreux. Nous citerons : la grotte des Eaux-Chaudes, que traverse un torrent ; le hameau de Goust, bâti dans une anfractuosité de rochers.

C'est ici que votre imagination vous ouvre son cliché, car c'est bien ici qu'ont été composées les premières poésies du monde païen. Les divinités antiques sont certainement nées en

8-? LES PYRêrrÉES^ Er za CAZîFosrm^

pays semblables et renaissent ici eîi nous-mêmes, avec les sentiments qui les animaient jadis.

Imaginez.-vous, chers lecteurs, être simplement revêtu d'une peau de chamois ou d'isard, tels des pâtre» curieux et oisifs, à l'âme simple et calme, ne connaissant rien encore de notre civilisation moderne. Vous rêvez^ ? Et à quoi^ sinon aux profils grandioses, aux proportions colossales, qui se déroulent majestueusement sous vos yeux ? Comme ces corps déchiquetés,. Ges épaules tordues, ces reins bosselés,^ ces membres entassés- sont bizarres ! Quels monstres inconnus, quelle race déformée et silencieuse, en dehors de notre humanité l Par quel horrible enfantement la terre les a-t-elle rejetés hors de ses entrailles et quels combats leurs têtes foudroyées n'ont-elles pas soutenus dans les nuages et les éclairs ! Comme leur visage est rude et imposant, bizarre et redoutable ! Quels éclairs jettent leurs cimes entre les brouillards qui rampent sur leurs flancs ruisselants!.... Tout blessés, décrépits et monstrueux qu'ils paraissent, ils sont encore et toujours les dieux de la terre et font les seuls à regarder le ciel en face,

...,. Mais voici qu'une seconde race apparaît, aimable, presque humaine : le chœur des nymphes, êtres fuyants, s'en- roulant au corps des colosses. Ce sont leurs filles, sans doute, mais comment les ont-ils engendrées ? Nul ne le sait. La nais- sance des dieux, aussi mystérieuse que l'existence de Dieu lui- même, échappe aux regards, à la pensée des mortels. Et les mortels ont voulu abattre ces dieux ! Ils ne l'ont pu et ils ont

construit leurs maisons dans leurs girons Voilà l'origine

de Goust !

Le hameau de Gabas est aussi une très jolie excursion à faire. Il est situé dans la plaine. Un torrent y gronde sous des glaciers, parmi des troncs brisés. Il descend engouffré dans l'escarpement, entre des colonnades de pins, habitants muets de ces gorges- Ce silence et cette attitude roide contrastent avec les bonds désordonnés de l'eau neigeuse. Il y fait frais. On peut y rêver en silence et le regard se repose à l'horizon sur le pic du Midi, splendide, gigantesque, orgueilleux quoi- que ébréché et en guenilles, élevant ses deux pieux immenses.

1.ES PYRENEES ET UA CA^IMJ-RKIE

■«3-

Le Palas, plus loin encore, lance sa tête blanche dans le •ciel bleu €t le Balaïtous entre <:omplètenîent -dans le firmament, laissant une grande traînée grise dans l'espace:; on peut admi- rer en passant les plateaux du (iourzip, de Bious-Artigues, de Montagnou, parsemés de petits lacs ; les lacs d'Aule, d' Ayons, de Bersou, d'Isabe, d'Artouste dominés par les pics Montant et Scarput. Kaux- Chaudes communique avec la vallée d'Aspe par le col d'Isseye, et avec celle de Réna par le col d' Anéou.

Aux environs d'Eaux-Chaudes et d' Eaux-Bonnes on «ntend souvent le son aigu du flageolet, et les baigneurs se mettent en marche pour Aas. On s'y rend par un chemin -étroit taillé dans la montagne verte, sur lequel se penchent par millions des tiges de lavande et des bouquets de fleurs sauvages. La place publique est auprès du lavoir, grande comme un -mouchoir de poche : c'est qu'on vient voir danser.

L'orchestre est assis sur une estrade improvisée, com- posée de deux planches placées à plat sur deux tonneaux ; puis •deux chaises trouées, puis deux musiciens plus troués que les •chaises, le tout surmonté de deux magnifiques parapluies bleus formant parasol. Vous voyez d'ici le tableau dans son origi- nalité. Ajoutez-y le lavoir aux piliers duquel s'appuient les A'ieilles et les vieux, causant et souriant. Quelques petits enfants jouent non loin de là, un peu décontenancés et curieux. Dans le sentier, les jeunes gens s'exercent à « jeter la barre »

Au-dessus de l'esplanade, sur les pointes de roc formant gra- dins, les femmes regardent avec leurs grands yeux brillants com- me des brugnons. Elles sont toutes en costume de fête: grand capuchon écarlate, corsage brodé ou argenté à fleurs de soie violette, châle jaune et brun à franges pendantes, jupe noire plis.sée et serrée au corps, guê- tres de laine blanche.

tfilPM'IJÉ* ^'tt||tfH|^

T\'pe lie réarnai.se.

Ces fortes couleurs, le rouge

84 LKS PYRé.vêES KT LA CALIFaRNTE'

prodigué, les reflets de la soie sous une lumière éblouis- sante, mettent la joie et le bonheur au cœur.

... Autour des tonneaux commence à tourner une ronde d'un mouvement souple, cadencée sur un air monotone et bizarre, terminée par une note aiguë d'un effet saisissant.

Un beau jeune homme, bien fait, souple et léger, bien pris dans sa petite veste de laine brune, en culottes courtes et bas bruns laissant saillir un mollet nerveux, conduit la bande. Les jeunes filles, jolies brunettes aux dents blanches et fines, à la lèvre pourpre comme une cerise, tournent grave- ment sans parler ni rire. Elles sont bien belles, bien réservées, et avec cela grifferaient comme des chattes le malavisé par trop galant ou hardi avec elles. Leurs petites sœurs, au bout de la file, essayent le pas à grand' pehie, et la rangée de capulets

écarlates ondule à la brise comme une couronne de pivoines

C'est charmant.

Tout à coup, le chef de la danse bondit brusquement avec un cri sauvage, raopelez-vous que nous sommes ici en plein pays de montagnes. Rien ne peut être comparé avec les autres danses. Du reste, celle-ci est parfaitement d'accord avec le paysage, le soleil, le climat, le sol, la nature vigoureuse.

Ces gens-là sont tous nés poètes et artistes, mais poètes et artistes naturels, sans nulle préparation, francs comme la lumière, vigoureux comme les rochers, sévères comme les montagnes, joyeux comme le ciel, silencieux et stridents à la fois comme les forêts inextricables. Car, pour avoir inventé ces habits splendides, il faut qu'ils aient été amoureux de leur belle patrie. Jamais le soleil du Nord n'eût inspiré cette fête multicolore. Ils ont choisi les couleurs du ciel et du soleil couchant. Dans d'autres pays, on en rirait ; ici, ils sont aussi beaux et aussi fiers que leur pays. L'œil ne peut rien saisir de laid, de choquant. Les traits sont réguliers et virils, malgré le hâle qui bronze les visages. Les grosses mains noueuses elles- mêmes apparaissent plus petites et plus fines sous ce soleil magique. Sa lumière resplendissante avive et anime tout. L'éclat des habits, de la peau et ce tourbillon de bruns et de brunes donne chaud au cœur et réveille l'âme. Sentez-vous

i^liS PYRENEES ET LA CaUPORNIE S5 --

cette expression ori<i;inale, artistique et sauvaj^e ? Comme elle convient au cadre ! Cet air n'a pu naître que dans les monta- gnes. Le roulement frémissant du tambourin est comme la voix traînante du vent lorsqu'il Ionise les vallées étroites. Le son aigre du flageolet est pareil au sifflement de la bise quand on l'écoute là-haut, sur les cimss dépouillées. Les bruits si divers et si caractéristiques des montagnes et des sources, du feuillage et des torrents se reconnaissant encore, à peine transformés par le rythme animé ou langoureux de la chan.son.

La danse est aussi primitive, aussi naturelle et aussi conve- uable au pays que la musique. Ils vont la main dans la main, tournant en rond. Quoi de plus simole ? Ainsi font les enfants qui jouent. Le pas est souple et lent ; ainsi marche le monta* gnard. Vous savez par expérience que pour monter il ne faut pas aller vite et qu'ici les roides enjambées d'un citadin le jettent à terre. Ce saut, qui vous semble étrange et qui est souvent merveilleux de grâce agreste et originale, c'est une de leurs habitudes qui confesse un de leurs plaisirs et atteste leur vigueur et leur tempérament.

Pour composer une fête, une danse, un air, ils ont choisi ce qu'ils ont trouvé de plus beau, de plus agréable, de plus frappant dans la nature, ce qui a le plus impressionné leurs yeux, ce qui a le plus charmé leurs oreilles et ce qui a le plus excité leurs jambes.

N'est-ce pas la fête la plus nationale, la plus vraie, la plus harmonieuse, et, partant, la plus belle que l'on puisse ima- giner ?

A Laruns, qui est une petite ville, la danse est la même, mais plus animée, exécutée par un plus grand nombre de danseurs et de danseuses. Quelques-uns, plus aisés, sont vêtujî plus richement ; les jeunes filles sont plus coquettes et plus éveillées. On y rencontre beaucoup de physionomies à la Henri IV et beaucoup de mignonnes frimousses qui auraient fait briller les yeux du roi vert-galant. Parfois aussi on entre- voit de vieilles femmes telles que nous vous défions de vous en imaginer jamais : une cape de laine les enveloppe comme une couverture, on ne peut apercevoir que leur face qui n'a plus de

86 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

couleur et leurs yeux de louves. On pense alors volontiers aux sorcières de Macbeth.

Les Ossalois ont une physionomie très humble, très douce et très ser\dable. Nous donnons plus loin le oortrait d'une Ossaloise dessiné d'après nature par l'auteur de ce livre. Quant à son caractère, oour en faire l'analyse, il faudrait la représen- ter un œuf dans la main, en train de le tondre

Cette avidité, cette exag-ération de l'économie domestique n'est point choquante, au contraire ; il s'a^t de la comprendre. L'hospitalité est proverbiale et il n'est pas nécessaire pour la mé- nagère de sortir de chez elle pour vous préparer un excellent dîner qui se composera de cinq ou six olats, et autant de plats, autant de changements de sauces, de ^réparations, de mets, de desserts, de confitures et de boissons de toutes sortes. On sait vous prendre et vous cajoler, et l'on ne vous ennuie pas, bien sûr !...

Quelquefois, un entrepreneur de gaieté et de plaisirs publics se met en devoir de faire rire son oetit mais très élégant auditoire. Cela se oasse généralement l'aorès-midi. Une élo- quente affiche annonce le « jeu du canard ». Pour les Anglais, c'est véritablement un a canard » et ils n'y assistent jamais, suivant la coutume protestante qui ne permet aucun divertisse- ment le dimanche.

Voici en quoi consiste ce jeu : on attache une perche à un arbre, une ficelle à la perche, un canard à la ficelle. Mainte- nant, si vous voulez vous amuser un brin, vous donnez deux sous à un petit garçon, moyennant quoi on lui bande les yeux, on le fait tourner deux ou trois fois sur lui-même, on lui met dans les mains un sabre d'invalide et on le pousse en avant au milieu des cris et des rires de l'assistance :

« A droite « A gauche ! » « Holà ! » « Ohé ! » « Frappe donc ! )) « Ah ! ah ! » « En avant ! » « En arrière ! » « Tu y es ! )) « Bravo ! » « Toujours plus loin ! » « Toujours plus près

Le malheureux, assourdi et ne sachant auquel entendre, coupe l'air et aussi la terre. Si par hasard il atteint la bête, si par un hasard plus grand il atteint la tête, touche le cou et le

LES PYRENKKS ET LA CALIFORNIE

coupe, il emporte le canard qui lui appartient désormais. Voilà le jeu.

Et dans ces réunions on voit souvent les personnages les plus graves rire de bon cœur. Certains mondains, qui bâillent à l'Opéra se « tordent les côtes». Des duellistes émérites n'en reviennent pas d'émotion. Et voilà notre machine humaine usée qui a un regain de vitalité, de bonheur simple, sans pré- tention et sans préparations.

L'on annonçait qu'une jeune miss venait d'être mordue au talon par un homard, et tout le monde y courait voir, comme

au feu Que nous sommes machines ! Et pourquoi s'en

plaindre ? C'est, après tout, le beau côté de la vie.

•=^'"'5^ific'^çBi='

~im

■i

^M

i

■M

1 v^-^':?r T

éiLimÊ.mk-

Les Kaiix-HoiiiiL'S, prè.s ilKaiix-Cluuules.

PATOIS ET DIALECTES

LE PEUPLE BASQUE

E peuple unique, race mystérieuse par excellence, est le plus ancien qui se soit établi sur les deux versants des Pyrénées. L'origine de ce peuple singulier, auquel on ne connaît pas de frères, doit être recherchée sans tarder, car les particularités qui la distin- guent s'effacent chaque jour au contact des Espagnols et des Français. Il ne s'est jamais autrement désigné lui-même que par le nom de « Eskualdunac )>, composé de trois mots basques : eskii = main, ald = adroit, et dunac =^ qui ont. Littéralement, « hommes adroits )>.

Jeté comme un monument antique entre la France et l'Espagne, les Pyrénées et l'Océan, ce peuple, étranger aux bouleversements des empires et de la politique, est toujours resté libre, sinon indépendant.

Des savants ont vu une parenté entre eux et les Ibères du Caucase et même avec les fameux guerriers Cantabres. D'au- tres, se basant sur des similitudes linguistiques, les ont ratta- chés à la race sémitique.

L'hypothèse la plus curieuse et en même temps la plus probante paraît être celle qui les rattacVie aux peuplades aborigènes du Nouveau-Monde.

Quoi qu'il en soit, au Nord comme au Sud des Pyrénées, dans toutes les colonies du monde, partout enfin un groupe de Basques se forme, ceux-ci se recherchent pour vivre ensem- ble des mêmes mœurs, du même langage, des mêmes coutumes à peu de chose près. Mais ils se comprennent ' urF et

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE 89

élèvent une l)arrière infranchissable à tous les étrangers qui les entourent.

Le Bascjue diffère complètement de ceux avec lesquels il a parfois vécu toute son existence. Il est aussi éloigné du main- tien grave et presque provocant du Castillan ou du flegme dédaigneux de l'Andalou que de la politesse gracieuse du Béarnais ou de la souplesse moqueuse du Gascon. Tandis que ceux-ci se glorifient d'être PVançais ou Espagnols, le Ba.sque est Basque avant tout, et préfère toujours ce titre à tout autre. Il faut avouer cependant que le Basque Français ou Espagnol est très patriote et qu'il n'hé.site jamais à se sacrifier pour son pays. Mais son cœur est basque et ne changera jamais, à plus forte raison à l'étranger.

Le Basque est beau, d'une beauté de roman, dramatique et superbe. C'e.st la race la plus pure qui existe en Europe. L'air dégagé, la tête haute,- la taille droite et souple, la pose acadé- mique, la démarche aisée, ferme et légère, le regard vif et assuré, tels sont les caractères extérieurs du Basque. Habile à tous les exercices du corps, il est d'une agilité qui a passé en proverbe : « Courir, sauter comme un Basque ».

Une propreté recherchée, régnant dans tout son costume,- favorise encore cette légèreté : un béret bleu, une veste rouge ou brune, un gilet blanc, un mouchoir de soie négligemment noué autour du cou, des culottes d'étoffe blanche ou de velours foncé, le tout proprement ajusté et rehaussé par la blancheur éclatante d'une fine et belle chemise, forment, avec une large ceinture de laine rouge, le costume national basque.

L'habillement des femmes n'est pas moins remanjuable. ainsi que leur coiffure traditionnelle : un mouchoir d'un bleu foncé ou d'une blancheur éclatante, noué sur le haut de la tête, flotte derrière les épaules et donne un air piquant aux femmes charmantes qui le ]iortent. Démarche gracieuse et légère, taille svelte et bien prise, faisant ressortir admirablement l'épanouis- sement de la poitrine et des hanches, vivacité du regard, éclat du coloris qui change tour-à-tour d'une douceur angélique et mélancolique à une passion voluptueuse et irrésistible, sont les ([ualités distinctives des agaçantes Bas(iuai.ses.

go

LES PYRE~NEES ET LA CALIFORNIE

Du reste, si le Basque se garde de mêler son sang" au sang étranger, les deux sexes jouissent d'une grande liberté de

. v:^>

M. O. M. GOI^DARACENA.

commerce qui disons-le bien vite a réciproquement ses limites aorès le mariage.

LKS TYKKNKKS KT CAl.IFORNn-: Ql

Fiers, impétueux, les « Uskualdunacs », bien difTéreiits des paysans des autres contrées, marchent la tête haute, les épaules «fifacées et s'inclinent rarement les premiers devant l'étranger qu'ils rencontrent. Leur salut a toujours le caractère de l'égalité. Ils sont pasteurs et gaerriers, enthousiastes de la liberté qu'ils ont toujours vaillamment défendue dans leurs célèbres «. fueros «, es ;ièces de congrès ou d'assemblées qui se tenaient jadis en plein air, dans une enceinte d'arbres sécu- laires. La valeur qui les di.stingue était connue de tout temps. Horace a dit d'eux : C.int.xbcr indoctiis jttga ferre nostra. Braves jusqu'à la témérité , ils sont excellents soldats pour la guerre des montagnes ou la prise des forteresses, désertant en masse durant les trêves et reparaissant au moment du combat. Querelleurs et vindicatifs, il faut absolument éviter de les blesser en quoi que ce soit. Haleiniers intrépides, les premiers ils ont ouvert aux nations du globe le chemin des grandes pêches de la morue et de la baleine.

Les Basques sont éminemment hospitaliers ; tout hôte pour eux est un ami qu'ils accueillent et protègent avec des trans- ports de dévouement et de joie.

Nous devons à l'obligeance d'un de nos amis d'origine basque, M. O. (ioldaracena, de San Francisco, les intéressantes observations qui vont suivre :

(( En visitant la tribu apjielée les \lee\vocs, nous dit notre ) ami, j'ai remarqué que, outre nombre de coutumes particu- ■) Hères aux Basques, cette tribu dégénérée a conservé presque ■) intactes les mêmes intonations de mots propres aux seuls ) Eskualdunacs. Voici, parmi les centaines de mots que j'ai eu > soin de noter, quelques-uns des principaux :

PRONONCIATION COMPARÉE*

Français : Basque Meewoc

louche Awa Awa

irand'mère Amasou Amasa

'eu Soti Soû

uce Coucousou Coucousa

) L'orthographe exacte de ces mots n'a naturellement pas été observée.

92

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Français : Basque :

Chien Chakou

Maison Echai .

Je ...

Aujourd'hui Egoun .

Je n'ai pas Estout.

Meewoc :

Choukou

Uchou

Eguin

Esté

Courir Hudté Huaté

Soir Gaoua Gaoulou

Danse Mouchico Machouca

Types de la Tribu des Meewocs.

1.ES VYRÈNKKR ET Î.A LWLIFORNIE 93 "*

» Cette danse, comme chez les Eskualdunacs, s'accompagne » au tambourin chez les Meewocs.

» C'est surtout dans les habitudes intimes de cette peu- 5) plade qui ne compte plus aujourd'hui que quelques centaines » de membres, et qui s"" étend dans le partie plaine qui se trouve 3) entre San Joaquin à la Sierra Nevada, en Californie, que nous » avons trouvé de nombreuses affinités avec le peuple basque. »

Les Basques aiment avec ardeur les jeux et les fêtes, sur- tout les fêtes l'on danse, les jeux l'agilité du corps se déploie, et par-dessus tout le jeu de paume. La danse particu- lière du pays est le « mouchico », remarquable par la rapidité fiévreuse de ses mouvements ; le flageolet à cinq trous, le tam- bourin et le tambour basque accompagnent les danseurs.

Un auteur dit en parlant du pays basque : <x Un enfant y sçait danser avant que de sçavoir appeler son papa et sa nour- rice.» Cependant, en ces derniers temps, une jeune fille qui se livre trop à la danse publique est peu considérée ; quelques lignes d'une chanson basque le prouveront :

Peu de femmes bonnes sont bonnes danseuses. Bonne danseuse, mauvaise fileuse. Mauvaise fileuse, bonne buveuse. Des femmes semblables sont bonnes à traiter à coups de bâton.

Certains auteurs font remonter l'origine du peuple basque jusqu'au déluge. «Au déluge, disent les chroniques, échappè- rent quelques hommes, rares comme les olives qui restent sur l'arbreaprès la récolte, et de ce nombre fut Aîtor, ancêtre des Bas- ques. » Le comte Garât, qui était Basque, a cru reconnaître, dans les habitants des deux versants des Pyrénées, des Phéniciens venus dans ces montagnes, il y a cinq mille ans, pour en exploi- ter les mines. Cette hypothèse a été appuyée par certains écri- vains en renom qui ont trouvé dans la langue euskarienne les passages puniques du Pcrnulus de Plante. Enfin, depuis une vingtaine d'années les études sur le peuple et la langue basques ont pris un caractère vraiment scientifique. Il nous est impos- sible de relater ici, même en simplifiant, tout ce qui a été trouvé sur les Basques et sur leur langue depuis ces derniers temps. Qu'il nous suffise de dire que la langue basque elle-même appar- tient sans conteste au groupe des idiomes agglutinants. Sa place est marquée entre les langues finno-ourales de l'Europe

94 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

septentrionale et les langues incor jorantes primitives de l'Amé- rique du Nord.

Parmi les langues ouralo-altaïqaes, c'est avec le morduin» 'le vogul, le madgyar qu'elle offre le plus de ressemblance; parmi les langues am.éricaines, c'est avec l'algonquin. Le Basque est donc, comme le Hongrois, géograohiqunment et caractéristi- quement, isolé; mais, au point de vue linguistique, ce n'est nullement une langae à part. Citons, en passant, que beaucoup de mots français ont uae origine bas:iLie : a;ichois, baie, bizarre, gouge, gourd, guigner, malandrin, moignon, narguer, saur, virer, etc., etc.

LA VALLÉE D'OSSx\lT ET LES OSSALOIS

Nous n'avons pas à faire ici la description détaillée de la vallée d'Ossau, qui est dominée par les montagnes les plus va- riées et les plus hautes des Basses- Pyrénées. Ce qu'elle a de plus beau, c'est son ciel; ce qu'elle offre de plus intéressant, ce sont les mœurs et les costumes de se^ habitants.

Le type ossalois est le plus charmant et le plus poétique que renferme le Béarn. A tout seigneur, tout honneur! Com- mençons par rOssaloise.

La figure est délicieusement arrondie et respire la douceur et la bonté ; la taille est moyenne, mais modelée avec une rare perfection ; ses mouvements gracieux montrent une souplesse et une légèreté indéfinissables ; la démarche d' une fierté char- mante rehausse encore la grâce et l'éclat merveilleux du cos- tume national ; les sabots à longs becs artistement retournés sur le coude- pied achèvent de donner au tout la nuance la plus rustique et la plus caractéristique que l'on paisse imaginer.

Les yeux ont généralement la couleur admirable de la peau d'une prune de damas : violet-noir sur iris blanc, ou quelques fois violet-bleu foncé sur blanc azuré, recouv^erts de longues paupières légèrement arquées, entourés de beaux cils noirs; l'é- clat en est si merveilleux qu'il semble refléter dans son mignon miroir l'idéal pur du beau ciel du Midi et son chaud soleil.

LES PYRENElîS ET LA CALII-ORXIE 95

Les narines finement ouvertes, annoncent au surplus l'état sensationnel du cftur.

La peau, d'une finesse exquise, est légèrement ambrée ou brunie par les rayons d'or de Fhœbus ; elle laisse cependant trans paraître des couleur fraîches et ravissantes que l'on ne trouve que dans les montagnes. Le son de la voix et l'harmo- nie de la langue sont si doux et si harmonieux, qu'on éprouve le même plaisir à l'entendre que le gazouillement des oiseaux. Quand on écoute et qu'on voit parler l'Ossaloise, il faut faire un véritable effort pour cesser de la regarder, car on vient d'a- percevoir, sous ces lèvres rouges du sang des cœurs, une rangée de perles fines d'une blancheur éclatante.

Le costume s'adapte merveilleu.sement à ce genre de baauté. La tête est recouverte d'un p^tit bonnet en toile ou en mousseline, relevant la magnifique chevelure châtaine, brune ou noire, qui s'échappe par derrière en superbes tresses rame- nées d'un geste délicieux par devant, ornant le corsage de reflets bronzés ou rouilles quand elles sont exposées à la lumière vive ou aux rayons du soleil. Par-dessus le petit bonnet dont la blancheur fait ressortir divinement quelques mèches folâtres de cheveux frisés, un capulet de drap écarlate, doublé de soie de même couleur, couvre de ses plis la tête et les épaules jusqu'à la taille.

Vu corsage noir un peu échancré, dont le devant est orné de soie ou de velours cramoisi, emprisonne la mouvante poitrine; autour du cou et sur la naissance de la gorge, un fichu de mous- seline ou en soie à fleurs est né- gligemment noué, l'n collier de perles orne le cou, et la croix qu'il supporte se glisse délicieu- sement entre la naissance de la gorge. Vu châle en laine ou

en soie, à fleurs ou à dessins

>

entoure, noué par derrière, les épaules et la taille, et laisse tom- ber ses deux bouts ornés sur l'épanouis-sement des hanches.

g6 LES PYRéNÉES ET LA CALIFORNIE?

La jupe en laine noire ou de couleur sombre tombe em plis par-devant et est délicieusement troussée par derrière; elle s'arrête juste à temps pour laisser apercevoir les bas blancs qui s'évasent au-dessus des sabots, par une cannelure à côtes^ modelant l'attache fine de la cheville et laissant de\'iner la ron- deur exquise de la jambe. Recouvrons le devant de cette jupe d'un tablier de fine toile ou de soie brodée, et nous aurons complété la description que nous a\'ons voulu faire du plus beau costume national de villageoise qui existe : l'Ossaloise.

L'Ossalois est digne en tous points de sa jolie compagne ; l'aménité de ses manières, son urbanité proverbiale, sa p>olitesse exquise, l'habitude qu'il a de chercher à plaire et à se rendre serviable, ont donné à sa physionomie éveillée une douceur et un charme tout particuliers.

Son genre de beauté, sans être académique, n'en est pas moins fort intéressant ; la démarche est vive, assurée et légè- rement cadencée; le regard est profond, caressant, mais très souvent inquisiteur et moqueur. Sa conversation est aussi pétillante, aussi agitée et aussi abondarte que la source d'un fleuve; il gesticule et se ploie comme un arbrisseau flexible pendant la tempête. Autant il est ardent, autant il devient froid et subtil quand ses intérêts sont en jeu.

Il est agile comme un chat et malin comme un renard ; ne cherchez jamais à le tromper, il deviendrait irréconciliable.

Les jeunes gens portent une culotte courte en drap brun ou en velours noir, un veston écarlate qui prend admirablement la taille, un gilet blanc à larges revers ; des bas de laine blanche couvrent sa jambe nerveuse; vers le genou, elle est décorée de jarretières de couleur terminées par des glands; des souliers pour les dimanches et jours de fête, des sabots ou des sandales pour la semaine. Le béret, de couleur foncée, est gracieusement posé sur sa tête brune dont les cheveux sont coupés ras par devant, et tombent en boucles sur un col d'une blancheur écla- tante.

En vieillissant, les hommes abandonnent la veste courte et écarlate, qu'ils remplacent par une sorte d'habit foncé dont les larges basques tombent sur les cuisses.

f

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 97

L'IDIOME BÉARNAIS

L'idiome béarnais se rattache au grand groupe des langues romanes ou néo-latines, dans lequel il occupe une place des plus importantes. Le territoire se parle le béarnais comprend le Béarn tout entier. Le patois gascon a l'accent vif et saccadé, qui, pour les Français du Nord, est le type de tous les patois du Midi, et dont Montaigne disait: « le français ne peut attein- dre, le gascon y arrive sans peine », est parlé dans la Gironde, les Landes, les Hautes- Pyrénées, les Basses- Pyrénées et le Gers. Cependant il n'est pas rare, dans le Midi, de voir deux villages voisins avoir chacun un patois distinct.

Nous reproduisons ce verset du patois du département du Gers :

Un home qu'aougoùc dies hils, hou caddet qu'eou digouc : Pay, baillats me la portioun qui ém rebeneq s éou beii. H lou pay sous partagée lou ben.

Pour le patois moderne béarnais, nous citerons un fragment de poésie de Navarrot, qui aura le double avantage de donner aux lecteurs une idée de la langue et du sentiment si poétique moderne:

Bouques resqucttes. Tant beroys (elhous, Tendres bcrmelhous. Cors ta joens y ta tilhous, Entrât/, bloundetes, Entrât/- bruneles, Bienetz palhetes, llours de la sasou, Bienetz per bandes, Fourma guirhuides, Y plates- bandes Sus lou berd gazou !

Littéralement : Bouches si fraîches si jolis yeux - joues si roses tailles si jeunes et si flexibles entrez brunettes ^- vei ez châtaines fleurs de la saison venez par bandes for- mer des guirlandes et des plates bandes - sur le vert gazon.

gS LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

Les trésors de chants, de poésies béarnaises sont inépuisa- bles depuis les temps les plus éloignés jusqu'à nos jours. Pour n'en citer qu'un d'une époque déjà éloignée, parlons du poète béarnais Despourrins. Cyprien Despourrins est à Accous, dans la vallée d'Aspe en 1755. Ses ancêtres étaient bergers. L'un d'eux, ayant fait' fortune en Espagne, acheta l'abbaye de Saint-Juzan, avec tous les droits féodaux et le titre de noblesse. Le poète était doublé du gentilhomme le plus noble et le plus parfait, comme son noble père, Pierre Despour- rins, qui servit avec la plus grande distinction dans les armées de Louis XIV, lequel lui donna le privilège d'ajouter trois épées à ses armes, en mémoire de trois duels consécutifs et heureux avec trois étrangers qui avaient insulté son roi ; il les laissa tous trois en moins d'une heure morts sur le terrain.

Le souvenir de Desoourrins s'est religieusement conservé dans la mémoire des Béarnais et surtout des pâtres pyrénéens, qui brillent dans leur imagination au milieu des merveilleux poèmes, chansons et faits d'armes qui sont encore accueillis avec plaisir par les touristes, les enfants et les petits-enfants du Béarn.

Nous voudrions bien vous citer, chers lecteurs, toutes ces merveilleuses choses ; malheureusement, la place nous manque, et une traduction ne peut que déflorer cette ooésie. Voici pour les Béarnais : Là-haut sur les montagnes^ Cap à tu soy Mariou, etc.,

etc. Puis :

Ni las roses musquettes, Ni la flou deû bruchou, N'au pas de tas poupettes I/'esclat ni la blancou. Hurouse la manette Qui û dié oura l'onou tira l'espinglette Qui las tien en présou !

Comment traduire de pareilles strophes sans les fausser ? Ni les roses odorantes -ni la fleur de l'aubépine n'ont de tes seins l'éclat ni la blancheur.

Heureuse la main qui, un jour, aura l'honneur de tirer l'épinglette qui les tient en prison.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 99

On sait que Louis XV adorait les chansons de Despourrins, et que le célèbre Jéliotte a bien des fois réconcilié Mme de Pompadour avec son royal amant en lui chiintant une des ravis- santes compositions de ce poète : Cap à tu soy A/anou.... etc.

Dans ces derniers temps, vers 1840, un monument a été élevé à Despourrins, au pied des montagnes qui l'ont vu naître, et qu'il a su si bien faire rire et pleurer. Ce monument a été élevé par les soins de M. Xavier Navarrot, cet autre Béranger du Béarn, si connu, si aimé par ses contes et par ses chants déli- cieux, dans le pays de la joie, du chant et de l'écho sublime des montagnes.

Un nombre incalculable de chants populaires, de vers ra- vissants, de chansons pastorales et anonymes existent dans tout le Béarn, et principalement dans la vallée d'Ossau. On y cons- tate une simplicité charmante, fleurs douces et divines mêlées aux b'ouquets des poésies et d'historiettes du pays. En dehors de ces idylles, il y a aussi des chants nationaux historiques et fort intéressants, empruntés en général aux grands événements de l'histoire de France. Qui n'a pas entendu la complainte empreinte d'un sentiment si naïf et si toucV'ant, sur la captivité de François 1*='? Malheureusement, on pourrait peut-être repro- cher aux auteurs modernes d'avoir introduit un élément étran- ger à une langue si riche par elle-même, et qui n'a besoin de demander des ressources d'aucune autre. En effet, ces mes- sieurs ont trop francisé le Béarnais, et cet exemple a été telle- ment contagieux, qu'aujourd'hui cet idiome si s»ave et si riche ne se parle ni ne s'écrit plus avec pureté,

Tout le monde connaît sans doute l'opéi a-comique en trois actes «La Béarnaise» de MM. Eugène Leterrier et Albert \'anloo, musique d'André Messager, représenté au théâtre des Bouffes- Parisiens le 12 décembre 1885. Le livret renferme les péripéties les plus amusantes, des scènes d'un comique extra- ordinaire.

L'ouverture est fort belle et très franche, et les vingt-quatre morceaux sont tous plus jolis, plus entraînants les uns que les autres et écrits surtout avec art et avec goût.

lOO

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Citons également la romance si populaire : Beth Ceii de Paît, « Le Beau Ciel de Pau », si souvent chantée dans notre colonie :

BETH CEU DE PAU

SOUVENIR DES PYRENEES

ROMANCE

laroles I rançaises ei Béarnaises de C- Darichon.

Beth ceù de Paù quan te tournerey bédé ! Qu'ey tan souffer despuch qui tey quittât Siin caii mouri chens te poudere Vjedé, Adiù beth ceù, t'aùrey pla rej^retat! Qu'aiîri bouUit Béarn? cauta ta glouère, Mey ne pouch pas, car que souy trop raalaù Moun Diià , moun Diù , dechat me bédé en- Lou ceù de Paù, lou ceù de Paù ! [couère

II

Ye qu'éri soûl den ma triste crarapette, A respira lou parfum deù printems, Quaon, tout du cop ue praubeirounglete Pousse u gran crit, e puch. en même tems, U esparbè cour sus la bérouyine: Sav, sav aci, vou n'eth harey pas maù! Rentre dehens. que parleram, praiibine D'oou ceii de Paii, d'oou ceù de Paii.

m

Qu'as-tu pensât, la mie praùbe araigue, De biatj'a soûle chens nat secoure, Repaùzot drin! de courre que fatigue! Aci n'as pas à cragne lous vaoutours Taqué tembla? oh! n'es pas présounère, Que pos parti si n'ey pas ço qu'ith caù ; Repren toun boul, ben boultiya leiiyère Oou ceù de Paù, oou ceù de Paù.

IV

Mey que t'en bas. béroye messatyère, Adiù, adiù, senti que baù mouri.... Car lou boun Diù den soun séyour ni'apère Douma, beilleu, nou serej' mey aci Pusque t'en bas, benten den la mountagne Ben hat lou nid débat nnuste pourtaù, Qu'auras de tout ta tu et ta coumpagne Oou ceù de Paù, oou ceù de Paù.

Beau ciel de Pau, quand donc te reverrai-je! J'ai tant souffert lorsque je t'ai quitté ! Vallons chéris, ô monts couverts de neige, Mon cœur hélas! vous a bien regrettés. J'aurais voulu, Béarn, chanter ta gloire, Mais, je le sens, je descends au tombeau, Dois-je mourir sans chanter ton histoire, Beau ciel de Pau, beau ciel de Pau !

II

Hier j'étais seul, rêveur à ma fenêtre. A respirer le parfum du printemps, Tout souriait. Avril venait de naître, L'^ doux zéphir remplaçait les autans; Quand toat-à coup une pauvre hirondelle Vint s'abriter sous notre vieil ormeau : "Entre chez nous, nous parlerons, ma belle Du ciel de Pau, du ciel de Pau!

iir

Qu'as-tu pensé, gentille messagère, De voyager seule et sans nul secours ? Tes sœurs sont loin et tu rases la terre. Peux-tu bra%-er la serre des vautours? Pourquoi trembler ,tu n'es pas prisonnière; De l'an dernier tu veux voir ton berceau; Repars alors de ma pauvre chaumière. Au ciel de Pau, au ciel de Pau!

IV

Vers mon pays, vole et reviens joveuse; Porter chez moi mes regrets, mes douleurs Tu leur diras que mon âme est heureuse, Et que je meurs à la saison des fleurs. Va respirer l'air pur de la montayne. Sou'i notre toit établis ton berceau; Reste toujours dans les belles campagnes Du ciel de Pau, du ciel de Pau !

I.ES PYRENEES ET LA CALIFORNIE lOl

Disons pour terminer que la poésie béarnaise vient de s'en- richir d' un très intéressant recueil de poèmes portant pour titre : ■Parpailhcnis y i^^zt.ri(0?t5 (Papillons et Fleurettes). L'auteur, Mr. Firmin Uambrielle, mort en 1897, ^ ^^ fleur de l'âge, 27 ans, fut un simple et un modeste qui chanta dans l'isolement calme de la montagne natale pour consoler sa dolente adoles- cence, et c'est à la pieuse initiative de M. Emile Garet, prési- dent du conseil général des Basses-Pyrénées, dédicataire de l'œuvre, qu'est due la publication de ce livre posthume.

Mr. Louis Latournette nous dit dans la Nouvelle Revue « Ce poète aimait passionnément son pays; il en a noté les as- pects et les légendes avec une communicative émotion. L'élo- ge est du à Dambrielle d'avoir été un vrai et noble aède. Il eût superbement continué la tradition de Despourrins et de Navar- rot si son génie et sa langue harmonieuse avaient pu acquérir la perfection de l'âge. »

Les deux frères Garât sont, de leur propre aveu, d'origine Basque.

L'un, DoMiNiQUR-JoSKPH, le philosophe et le politicien est à Bayonne le 8 septembre 1749.

L'autre, PierRB-JEan, chniiteur célèbre et le plus parfait que la France ait jamais possédé, est à Ustaritz le 27 avril 1764.

Garât l'écrivain était fils d'un médecin. Il commença ses études sous la direction d'un curé de campagne et ne tarda pas à se dégoûter de la vie de province pour venir \ Paris le succîs l'attendait. Garât était devenu rapidement un écrivain académique dans toute l'acception de ce mot, et, en 1784, un élo'.<e de Fontenelle vint mettre le sceau à sa réputation. Il devint le successeur de Marmomtel au lycée, rue de Valois en 1785.

Le bruit de ses su -ces ne tarda pas à avoir de l'écho dans ses mon- tagnes natales. Il fut nommé député du Tiers-État aux États Géné- raux de 1789. Il devint rapidement très influent parmi les membres de l'extrême opposition et dirigea le Journal de Paris, il fut très estimé pour son impartialité.

Après la réunion de la Convention, il fut nommé ministre de la

I02 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Justice (^12 Octobre) en remplacement de Danton. Ce fut lui qui, en cette qualité, notifia au roi sa condamnation.

Louis, dit-il, le conseil exécutif a été chargé de vous communi- quer les extraits du procès verbal des séancesde la Convention Nationale des i6, 17 et 20 janvier 1793.

Le roi prit l'arrêt et le mit dans son portefeuille. Il remit ensuite au ministre la demande d'un sursis de trois jours à l'exécution du juge- ment, puis celle d'avoir, pour l'assister dans ses derniers moments, l'abbé Edgeworth de Firncout. Garât accompagna encore l'abbé au Temple. Le trajet des Tuileries au Temple, dit l'abbé, se passa dans le plus morne silence. Deux ou trois fois cependant, Garât le rompit :

Grand Dieu! s'écria-t-il, de quelle affreuse commission je me suis chargé ! Garât ne vota point la mort de Louis XVI.

Lors de la fondation de l'Institut, Garât y fut appelé. Puis, en 1797, il fut envoyé à Naples comme ambassadeur.

Il fut successivement secrétaire, puis président de l'Assemblée Constituante. Bonaparte dit de lui sur un discours qu'il fit sur la bataille de Marengo :

Concevez-vous un animal comme Garât? Quel enfileur de mots ! J'ai été obligé de l'écouter pendant trois heures.

L'Empire fut pour lui un temps de repos relatif; il devenait vieux et fuyait tout ce qui aurait pu troubler les jours qui lui restaient à vivre. En 1814, il vota cependant la déchéance de l'Empire, puis après plusieurs adversités que lui avait suscitées la Restauration, il se retira dans son pavs natal et y termina une longue carrière de travail, d'honnêteté et de peines.

Garât (Pierre-Jean) reçut dès l'âge le plus tendre des leçons de chant de sa mère qui avait une fort jolie voix et qui connaissait à fond les traditions de l'ancienne école de chant. Lorsque l'enfant eut atteint sa dix-septième année, son père voulut en faire un avocat et l'envoya à Paris étudier le droit. On pense facilement que Garât négligea beau- coup ses études de droit pour fréquenter assidûment le théâtre et cultiver l'art qu'il sentait germer au fond de son âme. Cependant, Garât père s'aperçut que les études de droit laissaient beaucoup à désirer. Il fit de sévères observations qui restèrent infructueuses. Le châtiment suivit de près la rébellion; les lecteurs savent qu'au pays les papas ne badinent pas, et effectivement il supprima la pension de Garât fils, afin d'ame- ner le coupable à récipiscence. Le jeune homme, habitué à la fréquen- tation du monde et à une certaine aisance, vit avec terreur le coup qui le frappait. Mais la Providence, sous les traits du comte d'Artois, vint à son secours Ce prince en fit son secrétaire intime, et de plus, tout enthousiaste de ses talents, il en parla à la reine, qui désira l'entendre.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 103

Celle-ci fut tellement émerveillée qu'elle l'admit, après l'audition, à l'honneur de faire de la musique avec elle. Oa parla alors beaucoup à la cour de cette amitié; l'amour va si vite, et la chronique encore plus vite que l'amour. Toujours est-il que la reine paya deux fois les dettes C|ue sota favori contractait en menant une vie de grand seigneur. Il dut à cette amitié d'être pins tard mis en prison pour sa bienfaitrice. Toute relation entre le père et le fils avait cessé, quand le comte d'Artois em- mena un jour son secrétaire à Bordeaux avec lui. Garât employa alors tous les amis de sa faînille pour rentrer en grâce auprès de son vieux père.

Celui-ci demeura inflexible. Cependant une occasion se présenta; Garât fils avait promis son concours à une œuvre de bienfaisance avec l'autorisation du prince son maître. Garât père ne pouvait refuser d'assister à cette soirée. Quand ce fut le tour de son fils à chanter, il voulut s'esquiver, mais on le retint si bien qu'il ne tarda pas à s'en féliciter. En effet, Garât était en scène, c'était le jeune homme le plus élégant et le mieux fait que l'on pût voir, mais ceci n'était rien à côté de sa voix merveilleuse qui enleva la salle d'une façon si subite et si prodigieuse qu'on le rappela dix fois coup sur coup. Toutes les dames présentes étaient en larmes. Garât s'était surpassé et avait voulu arra- cher aussi des larmes au cœur endurci de son père. En effet, le père Garât tout en pleurs, serra son fils sur son cœur en sanglotant:

Ah ! mon enfant ! mon enfant !

Pendant la Révolution il se rendit à Hambourg qui était le rendez- vous des émigrés aristocratiques; c'était un Paris en réduction. Spec- tacles, concerts, musique de salon, tout y affluait. Garât obtint un succès sans exemple, et devint l'homme le plus à la mode de son temps. Il est vrai qu'il ne négligeait rien pour la toilette de sa personne, pour un nœud de cravate réussi ou la coups d'un pantalon nouveau; quelques notes de sa voix suffisaient, car ces trois notes il se les faisait payer jusqu'à mille francs.

Il faut dire que tout contribuait encore à exalter sa vanité natu- relle. L'un des familiers du salon de Mme Récamier, qui lui donnait le surnom de "petit frère", Garât attirait par sa présence chez cette fem- me célèbre un grand concours de monde Un soir Garât avait promis de chanter le Christ mourant d'Haydn, accompagné de quatre harpes et de deux harmonicas. Il y avait foule pour l'entendre ; mais tout à coup on annonce que Garât, la passion du jour, était atteint d'une extinction de voix, et ne pouvait chanter.

C'est inconcevable, dit un grand seigneur de l'ancienne cour. Comment! Garât ne chante pas ? Mais c'est impossible! et que vient-il faire ici ?

M 'amuser des sots, monsieur le duc, répliqua le chanteur. Le grand seigneur, un peu déconcerté, n'osa répliquer. Mais, quel- ques instants plus tard, s'adressant à Madame Récamier en personne,

r04 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

qui se trouvait auprès de Garai, il lui dit d'un ton léger plein d'arra- gance:

Avez-vous entendu, Madame, comme chez vous le chanteur s'émancipe ?

Petit frère est ici chez lui, répondit la maîtresse de la maison, avec ce ton qui lui était particulier. L'illustre artiste entendant ces paroles, saisit sa belle main et lui demanda la permission d'y déposer un baiser de respect et de reconnaissance.

Nul n'excita à un plus haut point la terreur ou la pitié ; nul n'a fait éclater un rire plus franc dans le bouffe. Qui n'a pas entendu une ro- mance chantée par Garât ne peut se douter de ce qu'elle renferme de fleurs et de larmes.

Quel dommage l disait un jour Legros, de l'Opéra, que Garât chante sans musique !

Sans musique ! répondit une grande artiste ; mais Garât, c'est la musique même !

L'envie ne pouvait manquer de consacrer ce beau génie. On enten- dait des jaloux s'écrier :

Mais ce Béarnais n'a qu'un filet de \oix !

Tudieu l reprenaient ses admirateurs, c'est le Henri IV de la musique ! Appeler un filet de voix celui qui pêche 15.000 francs pendant une soirée, dans la poche des Parisiens les plus distingués !

Le virtuose béarnais était vengé.

Vers les dernières années de sa vie, Garât perdit la voix. Il ne pouvait y croire lui-même, et cela le terrassa ; sa santé déclina rapide- ment, et le plus beau, le plus grand des chanteurs mourut à l'âge de cinquante-neuf ans, le ler mars 1823.

Il nous reste à entretenir nos lecteurs du frère du fameux chanteur. Cet artiste avait une fort belle voix de ténor, qu'il négligea malheureu- sement dans sa jeunesse. Il devint cependant un excellent amateur, sous les auspices de son illustre frère, qui perfectionna son goût et sa méthode. Il s'adonna à l'interprétation de la romance, dont sa diction nette et accentuée faisait toujours admirablement valoir ces petits poè- mes. Il eut des jours de succès et de vogue. Mais il abandonna le chant vers 1808, et prit place dans un département de la finance; plus tard il s'adonna à l'enseignement du chant et devint très populaire. On l'appelait le '"Professeur Basque", tant il avait la beauté majestueuse, le corps vigoureux et souple, les yeux merveilleux. Enfin il termina son existence artistique et entra définitivement au ministère des finances comme sous-chef de bureau. Il revint dans son pays natal il fut ado- ré, et termina sa carrière fort paisiblement. Il mourut au milieu des siens, de ses montagnes et du beau pays du Béarn.

On sait que le théâtre Déjazet, vers 1860 a représenté une comédie-

IvES FYIRENEES ETT XA C Al^Iî 03RÎITE

ÎO5

vaudeville en deux actes, ayant pour titre Monsieur Garât. Cette spiri- ■tuelle petite pièce de M. Sardou n'est qu'une série de chansons et de iromances mises sur des airs du temps du Directoij-e. Il faut, d'ailleurs, rendre cette justice au maître qu'il a fort habilement tiré parti -du musca- din béarnais, surnommé le "troubadour Basque", qui, comme dit la ■chanson, rendait foiles toutes les femmes qui l'écoutaient dix minutes, ■et qui, comme l'on sait, refusa plus de femmes qu'il n'en agréa. Nous copions ceci dans un journal de l'époque :

O ma divinité tutélaire, tous les hommes se plaignent sur leuf «ort ; moi, je vous supplie de ne rien changer au mien. Les giâces, les plaisirs m 'assiègent ; ils veulent tous ni 'avoir. Je me laisse entraîner; ils m'idolâtrent ; je les laisse faire. Mon costume, mes p'ropos, mon maintien, tout fait époque dans le monde. Une romance de moi est un événement, «ne cadence chromatique est la nouvelle du jour, un enroue- ment est une calamité publique. Ma parole suprême ! c'est trop de féli- cité pour un mortel. Je dois tout cela à m«s montagnes, à mon ciel bleu, à ma chaumière, etc., etc.

Vue de Biarritz.

Li: DEPARTEMENT DES HAUTES^PYRENÉES

1 A R B E S

ARBES en latin Tarba est une eEes villes de France les mieux bâties et les plus agréables. Les. rues sont larges et bien percées^ un peu caillou- teuses,, il est vrai, mais d'une propreté exemplaire. Plusieurs sont arrosées par des eaux limpides,, ce qui ajoute à. leur entretien une agréable fraîcheur. Les maisons, dont beau- coup sont construites en marbre et en briques, couvertes en ardoises, ont un aspect délicieux, étant généralement bâties au milieu d'un magnifique jardin.

Tarbes est formée en quelque sorte de deux villes aux rues- irrégulières qui se réunissent et se soudent ensemble à la place Maubourguet, située au centre de la ville, et qui sont traversées dans toute leur largeur par une rue unique allant du pont de l'Adour à la route de Pau.

L'histoire de Tarbes est des plus dramatiques et des plus émouvantes. Nous regrettons de n'en pouvoir consigner que les principaux épisodes, car il nous reste encore beaucoup à rapporter ici sur les autres villes importantes des Hautes- P^'rénées.

Longtemps avant la conquête romaine, une des quatre tribus des Cantabres, peuple de l'ancienne Péninsule Ibérique, Vers les sources de l'Ebre, en avait fait sa ville principale. Nous avons déjà dit que les Basques actuels des deux versants des Pyrénées se glorifient avec raison de descendre des Cantabres, peuple qui a été reconnu depuis longtemps comme le plus intrépide, le plus civilisé et le plus magnanime qui existât alors. Agrippa, roi de Judée, petit-fils d'Hérode le Grand, le même qui fit arrêter et martyriser saint Jacques, les battit sans réussir à les réduire complètement, puisqu'il se retrouvèrent, quelque

LES -FVRENEES ET CAXTPO'R'NIB 107

temps plus tard, plus nombreux, plus unis et plus résolus que jamais.

La ville prit alors le nom de Bégona ( nom venant du dieu Bégony), Crassius en fit la conquête au profit de l'empire romain et elle échangea dès lors son nom primitif contre celui •de « Tarvia w, puis « Tarba t). Après la chute de l'empire romain, Tarbes eut à subir de fréquentes invasions, toujours repoussées avec un courage héroïque. Les Normands l'envahi- rent vers le IX* siècle et la dévastèrent de fond en comble. Les habitants, sans se rendre, se réfugièrent dans les landes voisines €t dans les forêts ils menèrent une vie quasi-sauvage, ce qui ■ne les empêcha point de punir terriblement de temps à autre les envahisseurs.

Sous Raymond P"^, la ville fut rebâtie, les expatriés ren- trèrent de nouveau dans leurs foyers et la ville devint la capi- tale du comté de Bigorre. Les désastres de la guerre de Cent Ans firent, au XIV^ siècle, tomber la ville au pouvoir des Anglais. Le Prince Noir y fit son entrée en 1360, accompagne de la princesse de Galles sa femme et du comte de Foix.

Gaston Phœbus qui, comme l'on sait, était héritier de la maison de Béarn, se chargea en effet d'expulser les Anglais, •non sans accomplir des prodiges de courage, et aussi d'épouvan- tables meurtres.

Les doctrines protestantes firent à cette époque des progrès immenses à Tarbes et dans toute la province. L'arrivée des troupes catholiques, commandées par Biaise de Montluc, fit éclater les lut- tes religieuses et fratricides, et le pays fut de nouveau couvert de cadavres. Les protestants, commandés par Montgomery, ac- coururent du Midi en toute hâte, en chassèrent par représailles les habitants catholiques et incendièrent les couvents et les églises. Un catholique était réfugié dans une tour oîi l'on ne pouvait monter que par un escalier très étroit. On lui envoya un de ses amis qui l'appela sous prétexte de parlementer. Sitôt qvi'il mit la tête à la fenêtre, on le tua d'une arquebusade.

Les paysans qui vinrent donner la sépulture aux morts en enterrèrent deux mille dans les fossés.

Les malheureux Tarbois étaient à peine rentrés dans leurs

l'08 tlSë PYRENEES" ET LA CALIFOKNTE"

murs, après le départ de MontgcMiier\% que le vicomte de Montamal les obligea de nouveau à la fuite. Huit cents d'entre- eux, ayant voulu; résister, élevèrent des barricades et tentèrent une lutte désespérée ;. mais, écrasés par le nombre, ils furent, massacrés jusqu'au dernier.

Après cette horrible boucherie, le pays devint presque- désert et l'herbe poussa entre les pavés de la ville.

La paix de Saint-Germain (1570) permit enfin aux habi- tants de rentrer dans leurs demeures, mais la latte entre les deux partis religieux se ranima, bientôt plus acharnée, plus sanglante que jamais,

Tarbes fut prise et reprise successivement quatre fois par les partis belligérants, plongeant le pays dans un monceau de ruines, de misère et de deuil. I^' avènement de Henri IV rendit enfin à la malheureuse contrée et à sa capitale en ruines un repos dont elle avait grand besoin; en 1607, lors delà réunion pro- noncée des anciens états du Béarn à la couronne de France, le monarque, dans un élan de justice et d'humanité, confirma les fors ou privilèges du Bigorre. On sait que la Révolution trans- forma l'ancienne province en un département, et Tarbes en fut choisie pour le chef-lieu. En 1S14, un combat très vif y fut livré entre Français et Anglais.

I^a cathédrale de Tarbes est classée avec raison au rang des plus beaux monuments historiques du Midi. Puis vient l'Église St. -Jean et l'Église des Carmes, dite aussi Eglise Ste.- Thérèse, fondée en 1285 par le baron Vital de Bazillac, et brû- lée en 1559. Ea préfecture occupe l'ancien palais épiscopal. On retrouve encore dans le jardin les ruines d'une chapelle et d'un cloître, plusieurs inscriptions et deux statues romaines.

Le nouveau Palais de Justice est orné d'une façade agré- mentée de plusieurs statues allégoriques en marbre.

A midi, les rues sont désertes; on s'aperçoit qu'on est proche du soleil d'Espagne.

Quelques femmes seulement, coiffées d'un foulard rouge, vendent des fruits au coin d'une borne; nous nous rendons à la promenade principale, le jardin Massey ; des massifs d'arbres exotiques et des gazons admirables font de ce jardin un des plus

^■ES PYRENEES ET LA CA"LrF01i"NIE I09

agréables du Midi de la France, Au centre s'élève le musée de la ville, élégante construction en briques que surmonte une tourelle dans le style mauresque. On y remarque une superbe collection d'oiseaux du pays, et une magnifique galerie de tableaux anciens et modernes. Du balcon du musée, l'œil em- brasse, dans un panorama merveilleux, la splendide plaine de Tarbes, et au loin, la chaîne bleuâtre des Pyrénées. Nous allons respirer l'air au Prado, oii les promeneurs commençant à affluer. On sait que les courses de Tarbes sont uniques et attirent tous les ans, au mois d'août, une grande affluence d'étrangers qui descendent des villes thermales de la montagne. La place Maubourguet mérite une attention spéciale ; elle est bordée des principaux hôtels et cafés de la ville. Le Prado, qui est une très agréable promenade, s'étend le long du canal et du magnifique jardin au centre duquel s'élève une seconde tour d'architecture mauresque, d'où l'on peut jouir d'une vue admirable. De cet endroit, la ville bourgeoise est véritablement élégante. Des gazons, des rosiers, des escaliers pleins de fleurs, une belle prairie d'herbe haute; dans le lointain, des peupliers gigantes- ques rangés en rideaux fixes sur l'horizon limpide. Nous nous rendons aux haras. Ils ont de 80 à 100 étalons dans une lon- gue écurie qui serait au besoin une magnifique salle de bal; ce sont de superbes bêtes, le poil luisant et soigné, la croupe ferme, l'œil doux, le front calme ; ils mangent paisiblement dans leurs stalles, ayant double natte sous leur litière; tout est propre, brossé, essuyé, astiqué. Des écuyers ou garçons d'écurie en veste rouge les veillent con.stamment avec une sollicitude exem- plaire, prenant mille précautions, leur parlant, les caressant et les chatouillant quelquefois pour les faire rire. Ils ruent de temps à autre, mais ils rient très souvent. Notre père Adam et sa chère moitié n'étaient certainement pas aussi heureux dans le Paradis terrestre.

LOU R I) F S

Nous nous permettrons, chers lecteurs, de vous transporter à Lestelle et de passer entre les rangées de boutiuues chnr-rr.

rro r.ijs ptkenees kt la Californie

de chapelets, de bénitiers, de médailles et petits crucifix, à tra- vers un feu croisé d'offres, d'exhortations et de cris. Après quoi nous serons libres d'admirer la chapelle. Il y a bien sur le portail une jolie vierge et quatre évangélistes en marbre, et dans l'intérieur quelques tableaux, mais le dôme bleu étoile d'or a trop l'air d'une bonbonnière, les murs sont déshonorés d'estampes parisiennes, l'autel est trop encombré de colifichets. En si beau pays, le bon Dieu doit plutôt se plaire au soleil. En face de nous une montagne couverte de buissons verts serrés, qui s'étale opulemment sous la lumière et se chauffe au soleil. La route, arrêtée brusquement, se courbe et traverse le Gave. Le joli pont d'une seule arche, pose ses pieds sur la roche nue et laisse pendre sa chevelure jusqu'à la rivière, émerveillée du paysage, et on aperçoit Saint-Pé, frontière du Bigorre et du Béarn. Saint-Pé renferme une curieuse église romane à porte sculptée. Une poussière lumineuse danse dans son ombre chaude. Les yeux plongent curieusement dans le profond enfon- cement- Les reliefs y nagent dans une noirceur vivante ; puis flous suivons l'interminable haie des murs blancs qui couvrent à droite et à gauche, plaqués de lumières crues; et enfin, la su- bite ouverture du ciel et le triomphe du soleil, dont la fournaise flamboie au plus haut de l'air. Près de Lourdes, les collines se pèlent et le paysage devient abrupt.

La ville de Lourdes nous apparaît au pied d'un rocher . inaccessible que couronne un château-fort possédant encore aujourd'hui sa tour carrée à créneaux et à plate-forme. Le corps du génie, par des travaux récents et très remarquables, en a fait un fort moderne d'une grande importance en cas d'atta- que de ce côté de nos frontières. Quant à la ville, son histoire proprement dite est à peu près inséparable de son château-fort. Lors de la réunion du Bigorre à la France, Lourdes, encla- vée dans le Lavedan, en suivit les destinées. Nous devons nous dispenser de rapporter ici toutes les légendes anciennes et modernes qui ont fait de Lourdes une ville miraculeuse. Cepen- dant, nous citerons un vieil usage qui existait à Lourdes de temps immémorial et qui porte bien l'empreinte des époques féodales :

o

1X2

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

En cette ville, dit la "Coutume Générale du L^vedan", rédigée en 1704, il y a une seule rue appelée du Bourg, les femelles sont exclues des successions de leurs pères, mères et aïeuls, par les mâles, à l'aîné desquels telles successions sont toujours conservées.

La Révolution qui fut accueillie à Lourdes avec enthou- siasme, mit fin à cet usage. Pour le moderne, citons en passant que près de Lourdes, le long du Gave, se trouvent de nombreu- ses grottes, dont quelques-unes sont assez curieuses. L'une d'elles, la grotte de Massabielle, estaujotird'htii célèbre comme ayant été le théâtre des visions miraculeuses que l'on sait Combien d'âmes naïves s'y sont-elles rendues ? Combien de désappointements n'a-t-on pas constatés ? Ah! pauvre humanité! que de ridicules tu nous réserves encore !

Un autre bruit populaire a naturellement couru à ce pro- pos, qui explique assez l'origine des apparitions. Il ne sied pas de le rapporter ici.

Saint-Sauveur, route de Gavarnie.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE II3

Nous entrons dans la gorge de Pierrefite. Les nuages gagnent et noircissent le ciel ; le vent souffle et fouette la pous- sière en tourbillons. A une hauteur prodigieuse les cimes noires crénelées s'enfoncent dans la vapeur. Le vent se lamente en longues plaintes aiguës, et, sous tous ces bruits douloureux, on entend le grondement rauque du Gave qui se brise furieuse- ment contre les roches invincibles. La pluie vient et brouille les objets. Après une heure environ, les nuages dégonflés traî- nent à mi-côte, les roches dégouttantes luisent d'un vernis sombre, comme des blocs d'acajou bruni, l'aile lumière jeune joue sur les cimes humides, comme un sourire après les

larmes La gorge s'ouvre, les arches des ponts de marbre

s'élancent dans l'air limpide et, dans une nappe de lumière éblouissante, Luz apparaît assise souverainement entre des tapis diaprés de verdure et des champs de millet en fleur multicolores.

Luz est devant nous, gaie, rustique, charmante. Les petites rues caillouteuses sont traversées par des ruisseaux d'eau courante qui serpentent en murmurant. Les maisons se serrent pour avoir un peu d'ombre. Le matin, arrivent des troupeaux de moutons, des ânes chargés de bois de chauffage, des porcs grognons et indisciplinés, des paysannes pieds nus qui marchent en file auprès de leurs charrettes.

Gens et bêtes s'en vont directement sur la place, rendez- vous de quatre vallées. On fiche en terre de grands parapluies rouges. Les femmes s'assoient sur sol, les jambes croisées, auprès de leurs denrées. Autour d'elles, une belle fille soigne les marmots aux joues rouges, qui grignotent et frétillent gaiement. On vend, puis on achètî, et à midi tout le monde est parti. y

C'est plaisir de regarder les jeunes filles en jupes rouges courtes, quelquefois divinement troussées, en capulets de grosse étoffe écarlate. Une d'elles s'approche de nous. Nous avons le temps de l'admirer, de deviner son .sein ferme, son cou brun et satiné ; .sa main aux attaches fines, aux doigts pointus ; sous sa couleur crue, l'ovale pur d'une figure fine et fière, un teint mat, presque pâle, et le doux regard glissant comme une bille

114 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

mouillée, ses lèvres rouges relevées et ses dents bien rangées et bien blanches. C'est un véritable régal de roi de roi Gascon.

On n'est pas riche, mais on est libre. On aime ces roches, ces granits, ces montagnes, ces prairies, cette chaumière, on aime tout cela avec respect comme on aime sa vieille mère, son vieux père tordu par l'âge, aux cheveux blancs, au gros nez aquilin, au menton en tabatière. Comme eux, on a pris à ce désert, à ce pays abrupt tout ce qu'on peut lui arracher. Ainsi s'échelonnent les étages de prairies et de moissons sur le ver- sant bariolé de bandes vertes et de carreaux jaunes.

Les granges et les étables, les maisons rustiques et les meules parsèment la terre de taches blanches et la rayent tout du long de sentiers grisâtres.

La récolte se fait en juillet, sans chevaux ni charrettes. En effet, l'homme et l'âne seuls peuvent, sur ces pentes, faire office de cheval. On enferme les gerbes dans de grandes pièces de toile que l'on serre avec des cordes. Le moissonneur charge sur sa tête cette botte énorme et monte pieds nus entre les aspé- rités des roches, sans jamais faire un faux pas. Les gamins livrent la chasse aux papillons, tandis que les petites filles

cueillent des bouquets de fleurs Pour quoi faire? Pour les

vendre ! Et l'homme, depuis qu'il peut marcher et penser, travaille, calcule, sous peine de vie, pour l'existence, toujours, toujours

G A V A R N I E

OUS nous mettons en route pour Gavarnie. Qui pourrait, à moins de faire preuve d'une igno- rance absolue, visiter les Pyrénées sans aller admirer Gavarnie et son cirque merveilleux, unique au monde ?

(( Il est enjoint à tout être vivant, dit Hippolyte Taine, et T) pouvant monter un cheval, un mulet, un quadrupède quel- T> conque, de visiter Gavarnie ; à défaut d'autres bêtes, il

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

- ÏI5

» devrait, toute honte cessant, enfourcher un âne. Les dames et » les convalescents s'y font conduire en chaise à porteurs. »

(iavarnie est un spectacle sublime. Les touristes se déran- rangent de vingt lieues à la ronde pour aller l'admirer. La duchesse d' Angoulême s'y fit porter jusqu'aux dernières roches et lord Butte s'écria lorsqu'il vint pour la première fois :

« Si j'étais encore au fond de l'Inde et que je soupçon-

-^.

**S^^9^^^

Le Cirque de Gavaniie

nasse l'existence de ce que je vois en ce moment, je partirais sur-le-champ pour en jouir et l'admirer. «

A vScia, la route passe sur un petit pont fort élevé qui domine un autre pont grisâtre abandonné. Le double étage d'arcades se courbe gracieusement au-dessus du torrent bleu. Le voile aérien s'amincit et va s'évanouir

» Il eîi est de Gavarnie, dit le Magasin Pittoresque, » comme de toutes les choses vraiment grandes et dont la gran- » deur n'est révélée que par l'étude, la réflexion et souvent

ir6 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

y> même par la puissance du calcul. Vu à distance, le Cirque de y> Gavarnie ne laisse que l'idée la plus fausse et la plus impar- » faite. Sa grandeur échappe à l'œil.

» Mais avancez : le Cirque vous semblait tout près de » vous? Eh bien 1 vous allez juger de sa grandeur par sa dis- » tance. Vous montez, montez toujours, vous traversez les » bassins de plusieurs grands lacs aujourd'hui taris, et, à cha- » que pas que vous faites, ils vous semble que le but s'éloigne » et fuit devant vous

» En pénétrant dans l'enceinte, on jouit d'un spectacle > certainement unique. Figurez-vous un vaste amphithéâtre de » rocs perpendiculaires dont les flancs nus et horribles présen- » tent à l'imagination des restes de tours et de fortifications et » dont le sommet est couvert d'une neige éternelle, sous la- )i quelle le Gave s'est frayé une route sortant du Mont-Perdu, » se précipite de plus de trois cents pieds d'élévation, et se parta- » ge ensuite en sept cascades. La plus belle est à gauche ; elle )) tombe d'une hauteur si prodigieuse et si détachée du roc, J) (422 mètres) qu'elle ressemble à une longue pièce de gaze )) d'argent ou à un nuage délié qui glisse dans les airs; elle en » a l'ondulation, l'éclat et la légèreté. L'eau, dissoute en buées yy et frappée des rayons du soleil, forme une variété d'arcs-en- )) ciel qui se multiplient, se croisent et disparaissent selon la » rencontre des divers rejaillissements : elle répand en tombant )) une rosée d'une finesse divine. On voit ensuite fuir sous un )) pont de neige ce Gave, qui, d'abord faible ruisseau, murmure )) à peine, tout d'un coup grossit, prend une couleur d'azur ■•) foncé, s'élance des rochers, entraîne en grondant les débris » venant des monts et menace d'ensevelir la contrée. Au loin )) s'élèvent le Marboré avec ses crêtes bleuâtres, le Mont-Perdu » et d'autres montagnes, sur lesquelles l' Arioste a placé le théâ- y> tre de ses charmantes fictions. La première fois qu'on se )) trouve au centre de cet immense amphithéâtre, l'admiration, )) l'étonnement vous rendent muets. Une voix veut sortir, mais ^) s'arrête à la gorge ; l'émotion est trop forte. Ce qui ajoute » encore plus de grandeur à ce spectacle féerique, ce sont les » formidables remparts qui entourent l'immense cirque : ici la

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

iry

» brèche de Roland, cette montagne que le vaillant chevalier » fendit de sa terrible épée et qui surplombe de 2.850 pieds ; là, » le pic du Taillon, dont la tête énorme s'élève à 4.384 pieds, » plus loin le pic de la Cascade et le Cjlindre s'élèvent au dou- )) ble de cette hauteur. L'air est immobile; nul bruit que le )) murmure des cascades, le chant de l'eau qui s'enfuit, roule, )) mousse, mugit.... »

~7T^^v9|^|HBHB

^^^Ê«â^ti^

^

i

m

^^^^^^

^^M|H

^^^^HHp^

^H

^^^^^^^^^^^^^Hib'^^^^2

bten.

i^^H

i^^^S^ÈJ'^î''-'''^- ■"■"-~*

^^' -^i^^' W^-:

r

.ç^

S^I^^^H

Le i,ac i')leu, aux tliviron-^ de Hii;jllelcs kie-l>lm<i i e.

BAGNÈRES-DK-BIGORRE

ors repartons pour Eagnères dars un véritable tourbillon de poussière. La route est encombrée comme les chemins de la banlieue des grandes villes '^Vj le dimanche vers le soir. La diligence prend, en passant, tout ce qu'elle trouve sur la route, pay.sans, malles, ballots, chiens, bicyclistes. Le paysan se contente de cette pla- ce, il a l'air heureux, et range ses jaml^s cbmme il peut, en

Il8

LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

riant. C'est un spectacle bizarre et qui ne manque pas d'origi- nalité. Les têtes coiffées de bérets, de capulets de toutes les couleurs vives; les jambes, les bras se mélangent, les filles fré- missent, les hommes ont l'air heureux. Tout le monde devient joyeux et chante, quelques-uns accompagnent au flageolet ; un cri perçant coupe l'air de temps en temps : c'est un jeune gars qui s'est avancé trop loin. Voici la joie et le plaisir. C'est dans cet équipage triomphal qu'on arrive à Bagnères, le soleil se couche dans un linceul pourpre et or, au loin derrière la petite ville. La délicieuse vallée de Campan nous offre son ta- pis merveilleux, et l'Adour, qui l'arrose, nous rafraîchit l'ima- gination; partout des sites pittoresques, des bouquets d'arbres, des fleurs, des bosquets; nous nous enfonçons dans la promenade des Coustous, entre quatre rangées d'arbres gigantesques ; des bancs réguliers à intervalles égaux, sur les deux côtés des villas et hôtels de style moderne, dont l'une est occupée par ^L de Rothschild; des files de boutiques s'illuminent, des cafés chan- tants se remplissent, des terrasses de cafés bondées de specta- teurs assis; sur la chaussée, une foule comoacte qui s'agite sous les lumières; voilà le spectacle qui nous occupe tout d'abord.

Bagnères-de-Bigorre est aux Pyrénées la capitale de la vie élégante, le rendez-vous des plaisirs du monde et de la mode. Paris en petit à deux cents lieues du Grand Paris.

Le matin, au soleil, l'aspect delà ville est charmant. Par- tout des jardinets fleurissent sur les terrasses; de grands arbres éparpillés donnent l'ombre dans les rues. L'Adour glisse le long des maisons. Deux rues sont des îles qui rejoignent la chaussée par des ponts chargés de lauriers-roses et mirent leurs fenêtres vertes dans le flot clair. Les ruisseaux d'eau limpide accourent de toutes les places, et de toutes les rues ; ils se croi- sent, s'enfoncent sous terre reparaissent, et la ville est remplie de leurs joyeux murmures, de leur fraîcheur et de leur gaieté. Des petites filles assises sur les dalles ardoisées trempent leurs pieds dans le courant; l'eau froide les rougit comme des homards; elles jettent de petits cris et laissent voir leurs jambes fines, à la peau brune et satinée. Sous son luxe d'emprunt, la ville garde des habitudes rustiques. Dans la cour intérieure ou dans le

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

irg

vestibule de chaque maison, femmes et filles cousent, travaillent, les unes sur une marche d'escalier, les autres au pied d'une vigne; le grand cil noir dessine des lignes pures et brunes aux yeux et à la naissance du front, la cheville laisse deviner la jam- be, le corsage un peu ouvert donne l'air à deux prisonniers po- telés; les cheveux bruns et frisés couvrent la nuque brune et font contraste avec le linge d'une blancheur éblouissante. On s'arrête malgré soi pour contempler.

>t,::>--^.>'.

Bagnères-de-Bigorre en 1830.

On sait que la découverte des sources thermales remonte à la plus haute antiquité. Les Romains fréquentaient ce lieu qu'ils appelaient Viens aquensis, Aquœ conve^iarum ; des débris, des inscriptions attestent qu'ils avaient élevé des statues et des autels en l'honneur des nymphes des eaux. Depuis lors, Bagnè- res n'a cessé d'attirer la foule à ses bains, distribuant la santé, la gaieté et la vigueur aux malheureux mortels.

I20 LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Le soir, on a le loisir d'aller rêver dans la plaine. Il y a des champs de maïs, des sentiers détournés l'on est seul. Quelquefois, cependant, deux amoureux sont surpris et se re- tournent, mais ceci n'est qu'accidentel et ne déplaît pas géné- ralement.

On assiste au crépuscule, la grande ombre des montagnes assombrit la verdure, des nuées d'insectes bourdonnent dans l'air alourdi. Le souffle d'une brise fait légèrement frissonnei les grandes tiges de ma"'S. De loin on aperçoit encore les voi- tures, les cavalcades qui vont et viennent sur toutes les routes, et le cours s'illumine par la promenade du soir.

Le célèbre conventionnel RarrerE est à Tarbes en 1755. Il fut d'abord avocat au Parlement de Toulouse, puis conseiller à la sénéchaus- sée du Bigorre ; en 1789, il fut nommé député aux Etats-Généraux. Il s'y montra un homme à la fois ferme et modéré, mais partisan de toutes les réformes. C'est Barrère qui, en sa qualité de président, interrogea Louis XVI, amené à la barre. Il vota pour sa mort, et on lui .attribne ces paroles : "L'arbre de la liberté ne peut croître qu'arrosé du sang des rois."

Il fut l'ami et le d'^fenseur de Robespierre, mais se déclara bientôt contre lui. Après le soulèvement du l prairial, an III, la Convention ordonna qu'il serait traduit devant le tribunal criminel de la Charente- Inférieure, il aurait été condamné, sans aucun doute, à porter sa tête sur l'échafaud ; il parvint, à force d'audace et de sang-froid, à échapper des prisons de Saintes II se tint caché jusqu'au 18 Brumaire. Alors, sur l'invitation de Fouché sans doute, il écrivit un grand nombre d'ou- vrages exaltant le Premier Consul. Sous l'Empire, il ne s'occupa que de littérature. Pendant les Cent-Jours, il siégea à la Chambre, on le vit insister pour qu'une déclaration des droits de l'homme fût placée en tête de la Constitution. Il se réfugia en Belgique, oh il vécut pendant toute la Restauration. Les électeurs de son département le nommèrent continuellemeut sans qu'il se pré-<entât; il devint alors conseiller géné- ral jusqu'en 1840 Barrère est l'homme de son département qui a le plus écrit.

Jean-Pierre B.\rrerE, parent du conventionnel, est à Tarbes en 1758; il .siégea au conseil des Cinq-Cents, et fut nommé par Bonaparte, membre de la Municipalité de Paris, puis conseiller de préfecture. Tl devint, en 1815, vice président du Tribunal de première instance de. Tarbes.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE 121

Tarbes a eu l'honneur de voir naître un des plus grands poètes et écrivains du siècle. le 31 août 1811, Théophile Gauthier ébaucha ses études au collège de sa ville natale et se rendit à Paris en 182 1 pour V achever son éducation. Il est mort à Neuilly, dans la nuit du 22 au 23 octobre 1872. Le grand académicien est certainement, avec Victor Hugo, le plus grand poète de son temps, et tous les poètes de France, ayant Hugo à leur tête, publièrent en 1873, sous le titre de "Tombeau de T léophile Gauthier" et par les soins de l'éditeur Lemerre, un recueil remarquable de pièces de vers composées en l'honneur de l'illustre Tarbois. Nous regrettons vivement que l'espace forcément restreint

Hfltelltnc >lu I 11. du Midi et Lac d'Oncet.

dnot nous disposons nous oblige à ne donner ici qu'une biographie aussi incomplète du génial écrivain.

Le général A. -P. -A. AriéS est à Tarbes le 30 mars 1819. Il servit dans l'armée de la Loire en qualité de général de brigade et contribua pour une grande part à la victoire de Coulmiers. Sa brillante conduite lui valut les étoiles de général de division et le poste impor- tant dj gouverneur militaire de la place d'Orléans. II commanda ensuite, sous les ordres de Rourbaki, une des divisions de l'armée de l'Est. Commandeur de la Légion d'Honneur, le général .-Vriés était à la tête de la 27<= division d'infanterie lorsqu'il fut atteint par la limite d'âge et versé dans le cadre de réserve. Il comptait trente-quatre ans <le service et huit campagnes.

122

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Jean-Dominique, Baron Larrey, le célèbre chirurgien, naquit à Baudéan, près de Bagnères-de-Bigorre, en 1766, et mourut à Lyon en 1442. Si la vie d'un homme doit se juger par les services qu'il a rendus à l'humanité, nous pouvons le dire ici sans crainte d'être démenti, il n'a jamais existé un médecin qui ait rempli sa carrière mieux que le baron Larrey. On sait qu'il était devenu chirurgien-en-chef de la Grande Armée, qu'il suivit partout et oii il fut blessé souvent et fait prisonnier plusieurs fois. Larrey prodiguait indistinctement ses soins à tous les blessés. Aussi, durant la campagne de Syrie, l'avait-on surnommé "la Providence du Soldat". Il n'existait plus d'ennemis à ses yeux parmi

Vue J Ar«les.

les blessés. Tous avaient des droits égaux à ses secours généreux. Bon et habile, véritable héros de l'humanité, il était doué au plus haut degré d'un courage imperturbable. Avec le même calme, il affrontait la mitraill.^ et l'air pestilentiel des épidémies. L'ambition lui était absolu- ment étrangère. Il vécut au milieu de ses soldats, chéri et adoré de tous au même degré. C'est la plus grande figure de médecin militaire qui existe au monde. Jamais ce Français du Réarn n'a oublié une seule fois de visiter le champ de bataille que l'ennemi venait d'abandonner, de recueillir amis et ennemis comme des frères, d'étancher de ses propres

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE

123

mains le sang de leurs plaies, de leur adresser des p.iroles di pai\, de consolation et d'encourageineni. Il a prouvé, le cher homme, le grand citoyen, cjue si la France est grande par le courage, elle est aussi sublime par l'humanité et la pitié. Trois statues ont été érigées en France en l'honneur de cet homme de bien. L une, due au ciseau du grand sculpteur David d'Angers, lui a été élevée au Val-de-Cirâce p ir sous- cription nationale. La seconde, due à P. Robinet, Hgyre depuis 1856 dans la Salle des Pas-Perdus de l'.Académie de Médecine. La troisième, exé- cutée en 1861 par M. Badiou de la Tronchère, a été érigée à Baudéan,

Vue de Caiiterets en i!53u.

son vieux pays natal, qui s'en fait une juste gloire, car les hommes de cette trempe sont malheureusement trop clairsemés.

Claude François-Hilaire Larrey, son frère, s'est non moins distin- gué Il naquit également à Baudéan, en 1774, et devint chirurgien-en- chef de l'hôpital civil et militaire de Nîmes. Il acquit une très grande réputation et fut bientôt reconnu comme le plus brave des docteurs et le plus habile des praticiens. Il publia en outre beaucoup d'ouvrages rela- tifs à la science chirurgicale et aux précautions qui doivent prendre les mères pour assurer à leurs enfants une bonne constitution.

124 l'Es PYRENEES ET LA CALIFORNIE

Le Cardinal de Ossart, célèbre diplomate, est à Larrogne (Hautes- Pyrénées). Il fut ambassadeur de Henri IV auprès de la Cour de Rome. Ses lettres sont précieuses à consulter. (1537-1604.)

Le peintre paysagiste René Billotte est à Tarbes le 24 juin 1846. Il fut un des meilleurs élèves de Fromentin et appartenait à l'école impressionniste. Il a laissé le souvenir d'un artiste consciencieux, au talent sincère et très fin.

Le publiciste et politicien E. Térot est à Lareule ( Hautes- Pyrénées). Il devint, grâce à son talent, rédacteur-en-chef de la Gironde de Bordeaux et écrivit plusieurs ouvrages importants sur la politique et la défense nationale.

Mentionnons aussi le géographe D'AvEZAC, également à Tarbes, en 1800, mort en 1875. Le célèbre sculpteur J. Escoula, natif de Bagnères-de-Bigorre. Le fameux statuaire E. Destat, qui naquit à Vic-Bigorre.

Mentionnons encore, à titre de curiosité, que Tarbes a vu naître le plus vieux centenaire de France, un nommé RiVES, mendiant de profession, lequel, au mois de juin 1890, était âgé de cent-vingt ans et en parfait état de santé. Il se maria à l'âge de cinquante ans et devint veuf vers sa centième année.

A l' C il

DEPARTEMENT DU GERS.

AUC H

,UCH en latin Augusta Auscorum est bâtie en amphithéâtre sur le penchant d'une colline et divisée ^^ par le Gers en haute et basse ville. Elle a été habi- '■^(^' tée par les Aucis, peuple de guerriers et d'intrépides

chasseurs, premiers Gaulois de la Xovempopulanie, qui furent chassés de leur ville principale par l'invasion des Romains. Après le passage des Wisigoths, déjà nommés, elle fuc occupée également par les Vascons et elle devint la capitale de la Gas- cogne, jusqu'à l'époque cette province fut divisée en plu- sieurs comtés. La grande famille d'Armagnac, dont la souche part de Bernard dit « le Louche », second fils du comte Guil- laume Garcie, fut une des plus puissantes familles de l'ancienne Gaule dont on voit si souvent figurer les membres dans nos annales. Les comtes d'Armagnac figuraient dans les guerres féodales du Midi: l'un d'eux. Bernard IL s'empara de la Gas- cogne en 1052 ; son frère. Gérard II, lui succéda vers 1060 et fat un des signataires de la trêve de Dieu, jurée en Gascogne en 1104. On sait que cette maison était opposée à celle des Bourguignons sous le règne de Charles \'II. C'était le parti de la maison d'Orléans. Son nom lui vint de Bernard \'II. coaite d'Armagnac, qui, en 14 10, m.aria sa fille au duc Charles d'Orléans, et devint lui-même le véritable chef du parti. Char- les d'Orléans était le fils de ce fameux duc d'Orléans que Jean- sans-Peur. par rivalité d'ambition et de crédit, fit assassiner au coin de la rue Barbette, en 1407. De ces haines héréditaires entre les deux maisons, les deux partis rivalisèrent de féro- cité; les Armagnacs avaient pour siège la ville d' Auch.

LES PYRENEES ET LA CALIFORNIE I 27

Devenue ensuite patrimoine de Henri IV, elle fut réunie à la couronne de France en 1589, Elle est également patrie du Maréchal Montesquiou d' Artagnan. D'abord page, puis mous- quetaire, il prit part aux guerres de Flandre et de Franche- Comté. C'était un des plus braves et des meilleurs généraux de son époque. Il fit le siège de Namur avec Louis XIV, et devint gouverneur du Languedoc et de la Provence. C'est aussi à Auch que le duc de Roquelaure a vu le jour. Il était le fils du duc de Roquelaure qui se trouvait dans le carrosse royal lorsque Henri IV fut assassiné. Le fils était loin d'être aussi beau que le père, puisqu'on le surnomma P homme le flus laid de France. Il fut, en revanche, un des plus braves et des plus spirituels gentilshommes de son temps. Il^e rendit célèbre par son entrain, sa gaieté, un esprit fécond en saillies, et par de brillants faits d' armes. Le poète Bartas est à Montfort, près d'Auch, vers 1544. Il ne fit pas seulement œuvre de grand poète. Henri IV lui confia plusieurs missions diplomatiques ; il fut très bien accueilli partout, et on lui témoigna l'estime la plus grande pour son talent.

M I R A N D E

IRANDE est bâtie dans une charmante situation ; ses rues sont propres, bien pavées, et bordées de jolies maisons. Les quatre princi- pales rues aboutissent à une place centrale d'où l'on aperçoit les quatre portes de la ville, percées dans les mu- railles d'enceinte, assez bien conservées. L'Eglise Notre Dame, datant du XV^ siècle, est devenue l'église paroissiale après la ruine de rftglise Saint-Jean. Citons aussi l'ancienne enceinte de la ville, presque intacte et offrant au Nord-Est une tour ron- de bien conservée; le collège, qui occupe les vastes bâtiments d'un couvent de Clarisses fondé en 1630 et rebâti au X\'III'' siècle, le nouveau Palais de Justice, la sous-pré fecturs, la ca-

128 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

serne, la bibliothèque. De beaux boulevards plantés d'arbres, font le tour de la ville, dont ils constituent la promenade prin- cipale. Aux environs, on peut encore voir les ruines d'un château qui défendait autrefois Saint-Jean-de-Léxien, petite ville détruite aujovird'hui. Mirande fut fondée vers 1289, par trois puissants seigneurs : Eustache de Beaumarchais, Centuilo comte d'Astarac et l'Abbé de Bédouins. Les fondateurs la nommèrent Merveilleuse (Miranda) ; elle fut la capitale du comté d'Astarac. Le Prince Noir, vers 1355, la ravagea et livra aux flammes plus de cinq cents métairies de l'Astarac. Malgré ces terribles désastres, les héroïques habitants de Mi- rande soutinrent bravement la cause désespérée de Charles VII Au moment éclata la Révolution, cette ville était le chef-lieu de l'Élection d'Astarac et lesiége d'une justice royale. Peu après, elle fut érigée en chef-lieu de district, puis en sous- préfecture.

LECTOURE

ECTOURE est certainement une des villes les plus lU^i pittoresques du Midi, située sur un rocher isolé, ^^^^, entouré de profondes vallées et très escarpé de tous côtés. Au pied de ce rocher jaillit une fontaine con- sacrée jadis à Diane, selon les uns, et au soleil, selon d'autres. L'origine de la petite ville remonte de l'an 97 à l'an 100. Elle était habitée par des chasseurs d'une agilité et d'une adres- se surprenantes. Vers 238, sous le règne de Gordien, elle fut prise par les Romains qui s'y établirent, et on peut encore y remarquer des restes de leurs constructions enchâssées dans les murs de l'hôtel de ville et dans les piliers des halles. Sa posi- tion, considérée comme inexpugnable, son château-fort et sa tri- ple enceinte de murailles ne purent mettre Lectoure à l'abri des horreurs de la guerre. C'est dans son château que Jean V, comte d'Armagnac, épris d'une passion criminelle pour sa sœur

LKS l'YRHKHKS KT LA CALIFORNIE - 1 29

Isabelle, jeune fille d'une rare beauté, la viola à l'âge de quinze ans après l'avoir enfermée dans ses appartements depuis l'âge de douze ans. Elle couchait dans une chambre contigûe, or- née d'un ciel de verre d'où il la surveillait matin et soir. Plus tard il l'épousa et encourut la haine de Charles \'II, qui envoya une armée de 34.000 hommes pour assiéger Lectoure. Lechâteau servit de prison au duc de Montmorency en 1632. La ville possède quelques édifices dignes d'attirer l'attention.

L'Église, de style saxon-gothique, était jadis surmontée d'une des plus hautes flèches de France; elle a été reconstruite en partie au XV^P siècle. L'ancien palais épiscopal a appar- tenu au Maréchal Lannes, dont la famille l'a donné à la ville. Nous signalerons aussi l'hôpital et la promenade du Bastion, d'où l'on jouit d'un point de vue admirable.

Auch a vu naître le brave vice-amiral Villaret de Joyeuse, lié en 1850. Il entra au service particulier du roi à l'âge de quinze ans ; une année plus tard, dans une affaire d'honneur qu'il eut, il tua son adver- saire en duel ; il dut quitter son poste, et s'engagea dans la marine. Embarqué pour les Indes sur l'escadre du bailli de Suffren, il montra une telle bravoure au siégt- de Pondichéry, par les Anglais, ()ue l'Amiral le nomma, en 1781, ca])itaine de brûlot, et lui confia les missions les plus périlleuses. Plus tard, il fut nommé, par le département du Morbihan, député au Conseil des Ciïiq-Cents ; il se réunit aux Clichiens, fut proscrit avec eux, le 18 Fructidor, échappa par la fuite, reçut de Bonaparte, en iSoi.le commandement des forces navales destinées à concourir à la malencontreuse expédition de Saint-Domingue. L'empereur, ayant trouvé en lui un homme tout-à-fait supérieur, lui confia d'autres postes très importants et le nomma définitivement gouverneur-général de Venise, fouttion cju'il remplit jus(|u'à sa mort, e!i 1812.

130 LES PYRÉNÉES ET LA CALIFORNIE

Le Maréchal Lanxes, duc de IMontebello, est à Lectoure en 1769. Son père était un simple garçon d'écurie. Lannes s'engagea dans un bataillon de volontaires du Gers, devint bientôt sergent-major et montra, à l'armée des Pyrénées, une telle bravoure qu'il fut promu officier. Bonaparte le distingua bientôt dans l'armée d'Italie, oti il s'était engagé comme simple volontaire, ayant été destitué de son grade d'officier en raison de son manque complet d'instruction : il ne savait ni lire ni écrire. Il reconquit bravement tous ses grades à la pointe de sa terrible épée. Blessé plusieurs fois, il n'en prit pes ffoins part à nombre de combats importants et se distingua dans chacun par une bravoure et iine intelligence exceptionnelles qui le conduisirent en fort peu de temps au grade de général. Napoléon a dit de lui à Sainte-Hélène :

Lannes a peut-être été mon meilleur général, le plus brave, le plus brusque et le plus prompt à profiter intelligemment de toutes les occasions.

Ainsi que nous l'avons déjà mentionné plus haut, l'instruction lui faisait complètement défaut et il avait conservé son libre parler, sans se préoccuper d'aucun cérémonial. Devant Bonaparte lui-même, en présence de cf.t homme qui voyait se prosterner devant lui les rois et les princes, il n'avait cessé de conserver sa franchise et sa liberté d'action. Après la bataille d'Eylau, Napoléon ayant rapporté à Murât toute la gloire de cette journée, Lannes entra dans une violente colère.

Nous avons combattu plus que lui, Augereau et moi ! s'écria-t-il. Plus que votre coq empanaché de beau-frère qui vient, après la bataille, chanter cocorico !

Lorsque Napoléon chargea le peintre Robert de faire le portrait de Lannes, portrait qui devait figurer dans la Galerie des Maréchaux, le brave grognard reçut fort mal l'artiste et lui dit;

Que veut-il faire de ma tête, ce b -là? Je suis et serai toujours

un soldat, et non une peinture pour dames!

En etfet, Lannes n'eut pas le don de plaire à sa première femme, qui le rendit... ce que l'on sait, et son fils fut déclaré adultérin par les tribunaux. Sa seconde femme devint dame d'honneur de Marie-Louise.

Lannes mourut à Vienne, à l'âge de quarante ans.

La famille de Montluc est originaire du Béarn. C'est une des branches de la faneuse famille de Montesquiou. Elle a pour fondateur Guillaun.e-Arnaud de La^seran, fil.', puîné dCdet de Montesquiou et d'Aide de Verduzan, qui mourut en 1375, laissant Bertrand, seigneur de Montluc, père de Jean et aïeul de Pierre de Montluc. Celui-ci, marié à la belle Isabelle de Gontaut de Biron, mourut vers 1440, laissant pour successeur son fils Amaurien. Amaurien fut père de François qui, de son mariage avec Françoise d'Estillac. eut Jean de Montluc, évéque de

«5

LKS PYRENEES ET LA CALIFORNIE I3I

Valence et de Saint-Dié, qui eut un fils naturel, Jean de Montluc, seigneur de Balaguy, léi^itiiné en 1567, un des principaux chefs de la Ligue qu'Henri IV combattit si vaillamment. Peu après s'étant rallié au parti de Henri, celui-ci le créa prince de Cambrai et lui conféra le grade